En novembre 2011, Le Collectif Pêche et Développement s’est associé au Comité local de Paimpol pour organiser la 13ème Journée Mondiale des Pêcheurs. Ce fut l’occasion de faire découvrir un quartier maritime de 450 pêcheurs, bien vivant et dynamique, et de débattre de l’impact possible de la réforme de la Politique Commune des Pêches sur une flottille artisanale.
Une pêche artisanale diversifiée
Paimpol de 2011 n’a plus rien à voir avec le célèbre port des pêcheurs de morue. Cette « pêche à Islande ‘ a laissé des traces dans les mémoires et l’architecture. Les plus émouvantes se trouvent dans le cimetière de Ploubazlanec, sur le mur des disparus. Il reste aussi des liens particuliers avec l’Islande comme un jumelage et la présence d’Arthur Bogason, président des pêcheurs artisans islandais et du Forum mondial des pêcheurs artisans (WFF) témoignait de liens qui persistent entre les pêcheurs des deux pays.
La rencontre, au milieu de l’ancien port des goélettes, largement occupé par les plaisanciers, a permis de découvrir les caractéristiques d’une pêche côtière très diversifiée. Elle repose sur deux produits phares, les crustacés et les coquilles St Jacques. Les crustacés sont pêchés au filet et aux casiers, la coquille à la drague. S’y ajoutent, la pêche à pied de coquillages et les pêches ciblant le poisson avec des lignes, palangres, filets et parfois le chalut. Cette diversité, les activités saisonnières et la rigueur des pratiques de gestion assurent une stabilité à la flottille. Les bateaux et les activités sont dispersés dans de multiples ports et rias. Un armement de plusieurs chalutiers hauturiers est également rattaché au quartier, mais les débarquements ne se font pas à Paimpol. Il faut ajouter à la pêche, d’importantes activités ostréicoles menées surtout par des Vendéens et Charentais qui viennent chercher, dans des eaux très riches, les meilleures conditions de croissance pour leurs huîtres. La pêche reste une activité attractive pour les jeunes, elle a même attiré un ancien ingénieur halieute, permanent du WWF pour les océans, qui a décidé de se reconvertir dans la pêche à Paimpol. Après quelques réticences, il a été bien accueilli par les autres jeunes pêcheurs de l’école des pêches et le public de la rencontre a salué sa démarche.
« Nous, les femmes, sommes les invisibles ‘
L’un des moments fort de la rencontre a été l’intervention de plusieurs femmes, Huguette Floury, Sylvie Guégan et Yveline Le Merdy, femmes de pêcheurs de Ploubazlanec, et d’une femme pêcheur. Il y avait beaucoup d’émotion dans leur prise de parole : « Nous sommes les invisibles ‘. Mais on a bien compris qu’elles sont essentielles à la solidité du système. Invisibles, elles assurent dans la discrétion la gestion de l’entreprise, la vente des produits de la pêche, souvent sur des marchés très éloignés, qu’il faut rejoindre après des heures de route dans la nuit. Elles sont aussi le pilier de la famille. Il faudrait y ajouter d’autres femmes invisibles qui font vivre les structures au service des pêcheurs, comme les salariées du comité local ou Fanny Brun du Collectif Pêche et Développement qui, malgré son licenciement en cours, ont préparé la rencontre. C’est donc un système très complexe qui anime un territoire à la fois maritime, littoral et continental, sur la base de petites entreprises familiales qui s’adaptent en permanence aux réalités de la ressource, des marchés, des réalités humaines.
Une réforme simpliste et absurde
Le débat sur la réforme de la PCP a montré les risques d’une réforme simpliste jusqu’à la caricature. Elle généralise les situations de surpêche et oppose les bateaux de moins de 12 m aux autres. Ces derniers sont peu nombreux à Paimpol et chacun trouve sa place. Autre caricature, l’opposition entre les mauvais engins traînants, diabolisés et donc industriels, et les bons engins dormants. A Paimpol, ce qui domine ce sont les bateaux polyvalents qui passent de la drague au filet, au casier ou au chalut suivant les saisons ; ils changeraient donc de statut suivant l’engin utilisé au cours de l’année. En effet, pour Maria Damanaki, Commissaire Européen à la pêche, un bateau de moins de 12 m utilisant une drague ou un chalut est un navire industriel qui doit passer au régime des QIT (1) ! Dans un tel système complexe et en évolution permanente, l’introduction des QIT serait une catastrophe, opposant des métiers qui cohabitent et alternent suivant les saisons. Le témoignage d’Arthur Bogason a montré que la mise en place des QIT en Islande a été catastrophique pour l’ensemble de la pêche irlandaise et pour les artisans qui ont perdu la moitié de leurs bateaux. Ils ont depuis regagné du terrain, à cause de la crise qui redonne de l’intérêt à la pêche artisanale et aussi grâce au combat des artisans pour reconquérir progressivement des quotas. Mais il faut aussi se poser la question de l’intérêt des quotas eux-mêmes dans un quartier comme celui de Paimpol où la majorité des pratiques de gestion n’est pas basée sur des quotas mais sur des mesures techniques et sur la gestion de l’effort de pêche qui se montrent ici très efficaces et totalement contrôlées par les pêcheurs.
Des capacités de proposition et d’adaptation
L’exemple paimpolais montre enfin que des pêcheurs organisés ont la capacité de s’adapter, d’innover, de répondre aux nouveaux défis que pose la pression croissante sur la zone côtière Ils ne se contentent pas de gérer la pêche à la coquille St Jacques dans la baie de Saint Brieuc, ils s’adaptent en ouvrant des possibilités limitées de pêche en plongée. Ils ont su également utiliser comme une opportunité l’expérimentation d’une grosse hydrolienne par EDF. Elle est installée dans une réserve à crustacés, créée depuis longtemps par les pêcheurs. Ils bénéficient des redevances et utilisent cet argent pour embaucher une jeune ingénieure et renforcer la protection et le suivi scientifique des homards et langoustes. Leurs études ont montré que les homards sont loin d’être sédentaires et peuvent se déplacer à la vitesse d’un kilomètre par jour, le cantonnement est donc utile bien au-delà de Paimpol. La création d’un grand parc éolien en plein cœur du gisement coquillier a soulevé des inquiétudes et des polémiques. Le président du Comité local des pêches, Yannick Hémery, a fait des propositions audacieuses et très discutées. Il propose d’utiliser les redevances perçues par les pêcheurs de la Baie de Saint Brieuc pour travailler à la restauration des fonds envahis par les crépidules, en cherchant par ailleurs à valoriser ces coquillages. Il se propose aussi d’investir dans des viviers et diverses démarches pour mieux valoriser les produits de la pêche.
Des problèmes à résoudre
Il reste des problèmes à résoudre pour les pêcheurs de Paimpol. La pollution touche plusieurs gisements de coquillages exploités par les pêcheurs à pied. La pression touristique, sur une côte qui attire les milliardaires comme Mme Bettencourt, rend de plus en plus difficile l’accès au logement pour les familles de pêcheurs. Les coquilles saint jacques sont concurrencées par des produits étrangers, anglais ou d’Amérique du Nord et du Sud. La cohabitation avec des pêcheurs plaisanciers de plus en plus nombreux ne va pas sans problèmes et le Comité local a créé un groupe de travail qui les associe à la gestion.
La réforme proposée par Maria Damanaki dans son approche libérale, n’apporte guère de solutions à tous ces problèmes et elle risque d’en créer de nouveaux, là où il n’y en pas. La rencontre de Paimpol a permis de montrer aux nombreux élus de tout bord, qui étaient présents et avaient appuyé l’initiative, qu’il ne peut y avoir de bonne gestion des pêches sans prendre en compte la réalité des territoires. L’avenir de la pêche passe par la prise main de leur destin par les pêcheurs eux-mêmes, aux instances politiques de les soutenir au lieu de leur imposer des réglementations et mesures globales qui ne prennent pas en compte la complexité infinie de la pêche et du monde des pêcheurs.