Chacun va son train, chacun a son coin dans cet univers compté. Jean-Claude, « l’ancien ‘, veille à la passerelle pour ces 4 heures de route. A ses côtés, recroquevillée sur sa petite couchette, Aline la jolie capitaine complète un pan de nuit. David, le tout jeune matelot s’est installé sur le frigo. Sandrine, co-équipière, somnole dans la cabine ; à ses oreilles des écouteurs amortissent le ronflement puissant qui perce la cloison.
A bonne allure le filet sort de la cale, à l’horizontale, guidé par des mains agiles. Quand les yeux experts ont pressenti l’embrouille – celle d’un flotteur pris dans la nappe – nos deux marins bondissent vers la poupe saisissant à pleine main la toile pour la freiner dans son envol.
Criant : « Arrière ‘ à l’homme qui manoeuvre dans la cabine, ils s’arc-boutent en un seul élan avant de démêler prestement ce drôle d’imbroglio.
Le corps se plie au rythme du métier, tout comme ces tranches de vie égrenées tout au long de la journée. Pièce de théâtre bien naturelle, changement de décor quand en pleine nuit, au milieu de la mer, il faut clore le convivial repas, ranger, tout protéger. Dans 3 heures au plus, le filet traversera le pont, remontant avec lui des flopés d’eau, parfois de la carnasse, quelques méduses, des raies pastenagues et surtout de beaux poissons : thons, espadons, germons et de grandes castagnoles.
Temps d’action joyeuse et physique pour la calée et la levée, le démaillage, le glaçage, les multiples lavages du pont et puis des habits protecteurs : les bottes, les salopettes, les gants et les manchons. Demi repos quand le bateau flotte accroché entre le noir du ciel, le noir de l’eau, à ses 4 kilomètres juste immergés de mailles et de flotteurs, de hauts signaux luminescents. Les voix des radios relaient celle des machines comme des étoiles lointaines qui nous rappellent au monde humain.
Sur le temps du retour et dans la clarté matinale s’allège la vigilance. Reste à réparer les dégâts du filet. Le butin est moyen, on compte un peu mais pas à la virée. Hier était mieux et que sera demain ? Le vent décide, le mistral tout soudain commande, notre route est détournée plus au nord, ce soir le bateau restera au port tandis que nos marins profiteront avec bonheur d’une vraie nuit dans un vrai lit.
* A bord de l’Orchidée – 13m20, 270 cv – avec Aline Espana, patron pêcheur à Port de Bouc.