Là où la terre finit, il y a l’océan, la pêche, la lande, la côte sauvage Difficile d’imaginer ici une côte d’azur bétonnée, sans le soleil !
Dans cette articulation terre-mer finistérienne, les pêcheurs jouent un rôle clé : une vision maritime – globale et détaillée – une culture faite d’expériences et de transmissions, les partenaires d’un développement régional dans l’Europe.
Pêche finistérienne : attention fragile !
Sur une côte peu peuplée, la pêche dépend des infrastructures commerciales : « S’il y avait plus de hauturiers, y aurait plus de criées depuis longtemps. C’est vraiment des marchés de gros qui ne fonctionnent que s’il y a suffisamment d’apports. Au Guilvinec, il y a une certaine réputation : on est capable de fournir 50 espèces de bonne qualité. Diversité et quantité. Les hauturiers représentent 90% des apports et la moitié des pêcheurs. Le risque majeur est qu’ils soient rachetés par des sociétés d’armement qui délocaliseront d’un seul coup plusieurs bateaux, à la moindre opportunité financière ‘
Une culture de la diversité
« Contrairement aux grands ports de pêche, victimes aujourd’hui de leur spécialisation, on a toujours gardé notre diversité et ça nous sert finalement Je me rappelle, quand j’ai fait mon premier commandement, mon patron m’avait dit : ¨Joss va donc frapper ! Si tu veux réussir, ne va jamais essayer de pêcher ce que pêchent les autres, c’est trop tard et puis tu les prendras même pas. Et si tout le monde pêche la même chose, tu auras pas d’cours¨.
Ici y a la langoustine Mer Celtique, celle vivante du golfe qui est de grande qualité, les fileyeurs qui pêchent la sole, le merlu, quand c’est l’époque le lieu jaune, les ligneurs qui font le bar Beaucoup de métiers mais qui pêchent aussi du poisson noble quelque part. Tu commences matelot à la pêche hauturière ; si tu as les capacités et les moyens, tu peux devenir patron ; après la quarantaine beaucoup vont faire la pêche côtière : le chalut ou les filets, la bolinche ‘
La bolinche ([Senne tournante et coulissante pour la capture des espèces pélagiques (qui vivent à partir de la surface))] face aux lobbies nationalistes et industriels
« Y a plus de 20 licences de bolincheurs et une bonne vingtaine de bateaux. à‡a représente beaucoup pour l’économie de la région. Avec la règle de pêcher 10t/jour/bateau, ça fait quand même 100 t/jour pendant 8 mois L’anchois, c’est 25% de leur chiffre d’affaire. Parce que les espagnols ont le marché de l’anchois, ils veulent à tout prix le pêcher. Ils ont appelé les scientifiques pour faire des recherches sur la biomasse de l’anchois et ils disent que l’anchois est en voie de disparition. Les scientifiques français disent le contraire. ‘
« Nos pêcheurs savent très bien qu’il y a des murs d’anchois devant chez nous et y a pas le droit d’le pêcher. En 2006, y a eu un très petit quota pour la France et ça n’a pas marché car les espagnols ont bloqué le marché. C’est une histoire politique. En plus, l’anchois, il naît devant Arcachon, il est là et il est tout petit ; c’est dans cette zone que les espagnols vont commencer à l’pêcher. Après, au fur et à mesure, il monte, il monte dans l’nord. Quand il est devant chez nous, c’est fin aoà’t » fin septembre, là il est gros. Et il a une durée de vie de 3 ans. Donc une grosse partie de l’anchois qui vient devant chez nous meurt. Autant le pêcher ! C’est incompréhensible…
Quant à la sardine, elle était vachement cotée. La sardine, les bolincheurs la pêchent très bien mais, depuis 2 ans, ils n’arrivent plus à la vendre. Ils ont perdu les marchés. Quand on a mis en place la licence de bolinche en Bretagne, on a bien pensé à la longueur des bateaux mais pas à la largeur
La sélectivité : le respect de l’environnement et du produit
« Le bolincheur est très sélectif. Quand on ramène le poisson, par exemple à l’époque des repos biologiques sur le bar ou la daurade, on peut laisser échapper la pochée. Si y a 10 t dedans, on peut larguer tout. Et puis on pêche du poisson de qualité. La sardine et l’anchois viennent presqu’à la surface et c’est avec une grande épuisette que les pêcheurs les mettent sur le bateau. Le poisson est pêché de nuit, mis dans des cuves réfrigérées, débarqué le matin. Il est de très bonne qualité.
On travaille énormément sur la sélectivité. D’ailleurs la biomasse de langoustines, c’est pas pour rien qu’elle a doublé en 3 ans, c’est parce qu’on travaille sur la ressource
On imagine mettre un label. Il faut que le consommateur aujourd’hui sache que s’il veut acheter 1 kg de langoustines fraîches vivantes à 8 €, il faut qu’il ait une autre perception du pêcheur et non le pêcheur prédateur, celui qui détruit tout Il faut qu’il soit d’accord de mettre 10 cts ou 20 cts de plus, parce que ce sont des gars qui bossent bien, pour l’environnement, pour une pêche durable… ‘
La gestion des pêches est collective et territoriale
« Sur tout le golfe de Gascogne, la pêche de langoustines est soumise à licence. Il y a 250 licences et 240 bateaux, 10 licences de plus pour des jeunes qui voudraient s’installer En Région Bretagne, à partir du Golfe du Morbihan, on a serré plus encore les freins que la licence nationale, pour la longueur maximale des bateaux. La licence est venue d’ici. Nous, on parlait déjà de mettre une longueur maximale à 15 m. On a réussi à faire un compromis avec les Lorientais pour mettre à 18m50.
Je me rappelle très bien ; un samedi matin, y a 4 ou 5 patrons qui m’en avaient parlé : « Le tout nouveau bateau (23m), il faisait ses essais avec nous. Quand le meilleur d’entre nous pêchait 3 paniers de poissons, lui il signalait 17 paniers. Alors, il faut faire quelque chose ‘ Donc la licence est venue d’ici, à cause de ça. Pour nous, 18 m c’est déjà beaucoup ([Les gars de la Turballe qui font le pélagique, les endroits où ils pêchent la langoustine sont beaucoup plus éloignés que chez nous, donc ils ont des grands bateaux, des fois 10 h de route pour aller pêcher.)] D’avoir des plus petits bateaux, cela nous permet de rester plus nombreux, compte tenu de la ressource et du marché. Dans les sociétés d’armement, les bateaux sont plus grands et ont plus de force motrice. Ils travaillent en Mer Celtique, dans l’ouest de l’Irlande. Il est pas question qu’ils viennent ici. L’an dernier, y a eu déjà des problèmes de quotas. Il est pas question de mettre plus de bateaux dans cette pêcherie, et encore moins des gros bateaux ‘.
Des modes de capture limités pour une pêche durable
« En Mer Celtique, on va lutter contre des gros. Evidemment, ce serait une bonne chose de limiter. J’ai été longtemps à la pêche au large, et en Mer Celtique particulièrement. Je sais très bien que les Irlandais se rendent pas compte, et certains bateaux de chez nous non plus, ils sont en train de bouffer toute la ressource. Moi, mes collègues, me le disent. Y en a un, parce qu’ils étaient en manque de patron, il a pris le commandement d’un bateau à 60 ans. Il m’a dit : « Tu verrais, Robert, tu serais épouvanté. Où tu pêchais 10 paniers avant, tu pêches même pas 10 kg aujourd’hui. Pourquoi ? Quand tu vois la surpêche, les 3 funes* qu’ils ont, les enginsc’est incroyable ! Des 24 mètres mais qui sont puissants ‘
Chez nous on a une bonne centaine de bateaux en Mer Celtique. Donc, c’est un enjeu C’est même pas d’avoir une flotte qui travaille en 3 funes, c’est d’avoir une surcapacité de force motrice, c’est plus des 300 cv comme y avait avant, c’est beaucoup plus. Ils ramassent tout. Ils sont nuit et jour à faire des queues de langoustines pour faire des scampi. Toutes les langoustines, les petites, les grosses, sont mises en queues. C’est impressionnant ! Le voyage qu’on a fait sur la côte ouest : beaucoup de chalutiers ont gréé leur chalut de façon à pas pêcher de poissons, et ils pêchent que la langoustine, ils ramassent tout, y a pas de rejets. On parle des rejets à Bruxelles. Eux, y a pas de rejets ! En 92, j’ai visité exactement les mêmes usines, ils retirent la chair de la carapace, et c’est cuit et préparé avec de la chapelure. C’est comme de la cacahuète, un apéritif. Tout est ramassé et ça va sur l’Espagne Ils ont une biomasse de langoustines qui est 10 fois supérieure à la notre pour l’instant, pour l’instant mais je sais très bien avec l’expérience que ça ne durera pas.
Les Ecossais ont la même évolution. En 92, à Peterhead, y avait du gros cabillaud, du gros lieu noir, de la grosse lotte, du merlan, du bourricot (anon), du ¨propre¨ (du gros poisson et on avait l’impression qu’il sortait de l’eau, il était frais, il était beau), énormément d’espèces. C’était pêché au chalut de fond. Ils faisaient pas trop de jours de mer, ils savent très bien conserver leurs poissons. Le poisson était vraiment beau On retourne en 2006, le même parcours A la criée de Peterhead, y avait toujours du poisson mais à ma grande surprise y avait plus que du petit poisson, et pire y avait plus que 2 espèces (du anon et du merlan). Du cabillaud y avait très peu, du lieu noir aussi. Je comprenais pas, puis après on sort de la criée, on fait le tour des quais, et j’ai compris pourquoi : les ¾ des chalutiers se sont transformés à la senne danoise et ils restent pas de chalutiers de fond. C’est une très grande senne, ça te pêche de tout, du poisson de fond, surtout du poisson de surface, et en très grandes quantités. Y avait aussi beaucoup moins de bateaux. Moins de pêche, moins de bateaux ça c’est clair si y a plus à pêcher. Chez nous c’est pareil. Le plan de casse c’est quoi ? On va casser 10 petits bateaux pour faire un grand qui va pêcher 10 fois plus que les 10 petits bateaux qu’on a cassés, ça a pas de sens !
Dans cette fuite en avant, on perd de plus en plus de bateaux hauturiers et ces patrons veulent tous se rabattre sur la pêche côtière. Mais on mettra pas tout le monde sur le même champ… C’est toute l’économie de la côte finistérienne qui part en fumée si on fait rien aujourd’hui. ‘
– Donc une de vos priorité, c’est un plan de gestion en Mer Celtique ?
– Oui
– Passe le message à Bruxelles
– Bienvenue !
Robert Bouguéon, Président du Comité local des pêches du Guilvinec