Le petit village poussiéreux de Moulay Abdellah, sur le littoral atlantique du Maroc, ne vit que de la pêche et des algues rouges, mais la fréquence effrénée des récoltes de cette plante aquatique risque de briser l’équilibre écologique de la région.
Sur presque 5 kilomètres, une nuée de « pêcheurs » profitent du retrait de la mer pour récolter les algues rouges – dites agar-agar – enfouies au milieu d’amas de goêmons verts, rejetés eux aussi par l’océan.
« Si la tendance à la hausse des récoltes sur le stock sauvage régional persiste, il n’y aura plus d’algues rouges », se lamente K. Mohamed, un jeune chômeur qui habite près de la côte, à environ 180 km au sud-ouest de Rabat, face à une mer retirée très au loin en raison de la grande marée du mois.
Halima, la mère septuagénaire de Mohammed, cherche elle aussi des fragments d’algues rouges. « Le vrai problème, rétorque-t-elle à son fils, c’est la pauvreté, la misère ».
« Il faut bien qu’on vive. Allez demander aux autorités pourquoi elles ne veulent pas améliorer nos conditions de vie depuis des décennies », lance-t-elle au journaliste de l’AFP.
Sa cousine, âgée de 36 ans, récolte elle aussi des morceaux d’algues rejetés par la mer, et développe les mêmes arguements. « Je suis célibataire, je gagne 20 dirhams (1,8 euro) tous les deux jours, dit-elle. Il faut que je fasse ça pour vivre ».
Un « agent d’autorité » de passage affirme pour sa part que les autorités n’ont jamais réglementé le ramassage de cette algue rouge, « très prisée par les pays européens » où elle est utilisée comme gélifiant naturel dans l’alimentation.
Il pointe du doigt, à l’horizon, une cinquantaine de barques spécialisées dans la récolte de l’agar-agar en haute mer.
« Sur le littoral allant d’El Jadida et Safi (au sud de Casablanca), il existe des milliers d’embarcations similaires qui pêchent en profondeur des tonnes d’algues par an », observe-t-il.
Le Maroc produit annuellement 14.000 tonnes d’algues rouges dont 40% sont exportés, le reste étant tranformé localement par une usine de Kénitra, à une quarantaine de km au nord de Rabat.
Selon Ahmed Kossai, un demi-grossiste d’algues rouges, la « surpêche » de cette algue se fait au large des côtes de Moulay Abdellah, à une profondeur de 20 à 30 mètres, par des plongeurs équipés d’un matériel très rudimentaire.
Ahmed Kossai, lui-même ancien pêcheur d’algues, reconnaît que l’environnement souffre des récoltes mais il fait endosser la « responsabilité sur les autorités et les sociétés spécialisées ».
« Les pêcheurs sont montrés du doigt mais les bénéficiaires sont l’Etat, qui perçoit des impôts, et les sociétés, qui font des bénéfices ».
Pour Rachid Lebbar, patron d’une société de transformation d’algues rouges à Kénitra, il faut mettre en place « un plan d’aménagement pour la protection et la valorisation de la ressource ».
« Il faut développer l’aquaculture, pour préserver les ressources naturelles comme cela se fait en Asie et en Chili (…), et réduire le braconnage. Sinon, assure-t-il, l’environnement en souffrira ».
Un responsable au ministère de la Pêche, contacté par l’AFP, assure quant à lui que les algues rouges se régénèrent à plus de 6% dès la fin des récoltes en septembre.
Mais d’autres dangers menacent. Selon Abderrahim Diab animateur d’un site internet sur l’environnement au Maroc, « les eaux usées, les rejets des usines chimiques ainsi que la construction des complexes touristiques polluent le littoral marocain ».
« Le Maroc, déplore-t-il, est le seul pays du pourtour méditerranéen à ne pas avoir de loi sur le littoral ».