Confrontés à l’érosion marine qui grignote un peu plus chaque année les plages de Corse, certains professionnels du tourisme ont décidé de prendre les choses en main pour les sauver par leurs propres moyens, faute d’action publique: un combat mené en toute illégalité.
Bernard Cabot, gérant depuis 1982 d’un camping les pieds dans l’eau, est de ces nouveaux Sisyphe. Sur ce qui reste de la plage d’Aléria (Haute-Corse), il surveille la manoeuvre d’une pelleteuse, chenillettes à ras des flots, qui pose délicatement un énorme sac bourré d’une tonne de sable.
Du sud de Bastia à Solenzara, les 80 kilomètres de plages rectilignes de l’île de Beauté connaissent ainsi un phénomène d’érosion dont seules les personnes touchées semblent mesurer la gravité.
« La collectivité territoriale et l’Etat se renvoient la balle, chacun estimant que le problème +n’est pas de sa compétence+. A l’Office de l’Environnement, on me plaint, mais on me dit de me démerder », raconte Bernard Cabot.
Cartes postales jaunies en main, il montre comment, en quelques années, la mer a progressé, noyant près de 100 mètres de plage. Du bras, il indique une longue traînée dorée qui scintille à une centaine de mètres au large, et quelques centimètres seulement de la surface: « c’est notre sable, il a formé un banc juste en face de la plage ».
Avec ses employés, depuis qu’il a décidé de se battre contre les flots, Bernard Cabot a déjà posé près de 3.000 sacs de sable. Il a aussi essayé des « stabiplages », des boudins de 30 à 100 mètres de long remplis de sable. Ils ont été éventrés par les vagues un soir de tempête.
« La Corse compte 1.000 kilomètres de côtes mais elle est la seule région française bordée par la mer à ne pas avoir une ligne budgétaire spécifique pour la protection de son littoral », fulmine Bernard Cabot.
Le courant qui balaye la côte est pour partie responsable de l’érosion. Mais les constructions humaines y ont aussi largement contribué.
« Le barrage installé sur le Taviniano a considérablement réduit les dépôts d’alluvions qui consolidaient la plage », accuse Bernard Cabot, sans cacher sa propre responsabilité. « J’ai été un malade de la plage propre, arrachant systématiquement les chardons et les herbes dont les racines retenaient la dune ».
Chaque équinoxe apporte son lot de catastrophes: « en 2008, j’ai eu 300.000 euros de pertes, bâtiments détruits, route emportée, réseau d’eau et d’électricité dévastés. L’an dernier, j’en ai encore eu pour 200.000 euros », énumère-t-il.
Plus au nord, Francis Suzzarini, propriétaire du camping de Campoloro, à Cervione, a lui aussi tenté l’expérience des « stabiplages », une technologie française expérimentée avec succès sur les côtes du Vietnam et du Bangladesh.
« Cette année, on a regagné 20 mètres de plage, c’est toujours ça », dit-il.
Une reconquête d’autant plus importante qu’elle se fait aussi en épaisseur. « Si le sable part, on marche sur les galets et sur les oursins. Et ça, les clients n’apprécient pas », dit-il.
Le hic, c’est qu’en agissant de la sorte ces professionnels se retrouvent à travailler dans la plus parfaite illégalité sur le domaine public maritime. Informés de cet empiètement, les services de l’équipement ne sanctionnent pas et suivent avec attention leurs efforts.
« La collectivité territoriale et l’Etat se renvoient la balle, chacun estimant que le problème +n’est pas de sa compétence+. A l’Office de l’Environnement, on me plaint, mais on me dit de me démerder », raconte Bernard Cabot.
« On veut sauver nos campings et faire que la Corse soit un endroit de qualité, pas d’abandon », explique Francis Suzzarini. « Mais on n’intéresse personne. Tout le monde se réfugie derrière la fatalité. C’est quand même étrange, un Etat qui subventionne le nettoyage des plages et pas leur protection ».