Mes derniers rougets
Un soir, juste après avoir zappé les infos télévisuelles, ma belle cévenole, qui ne déteste pas les produits de la mer m’a mis en demeure, fort aimablement, au sujet du programme culinaire du lendemain :
– Et si tu nous faisais des rougets, pas ceux du marché, non ! Ils viennent d’Espagne, ils sont pleins de sable. Va donc en pêcher aux Embiez (petite île devant Le Brusc, qui ferme la baie de Sanary).
C’est net, c’est clair, c’est concis. Comme je ne sais rien lui refuser
L’eau est fraîche, sans être froide cependant en ce matin de Juin, à l’heure ou blanchit la campagne comme disait Victor… La mer est calme, à tel point que j’ai dà’ venir au moteur, le vent étant absent dans la voile de mon Kelt, le Rigel. Pourquoi ce nom d’une étoile dite la plus brillante de sa constellation ? Je l’ignore ayant acquis mon bateau avec ce nom d’astre lointain. Je me suis renseigné et j’ai appris que cette appellation vient de l’Arabe qui dit : « le pied gauche du géant ‘ lui-même étant le pied gauche du chasseur. Ce qui dans mon cas ne peut être que bénéfique, passionné que je suis depuis mes débuts subaquatiques par la chasse sous marine. Allons, c’est sà’r, je vais trouver quelques beaux spécimens de rougets, alors qu’ils se font de plus en plus rares.
Je suis donc seul, au sud de l’àŽle des Embiez, devant la plage de la Murène. Le silence est juste troublé par un léger ressac, suite au mistral des jours précédents. Un pointu se trouve un peu plus au large. J’aperçois le pêcheur qui remonte son filet. Il est tôt, environ six heures trente ; il fait jour de bonne heure en cette saison. Surtout, c’est le meilleur moment pour la chasse sous marine.
J’enfile mon vêtement de plongée. Je finis de m’équiper avec ceinture de plombs, palmes, tuba. Je rince mon masque et me mets à l’eau doucement, en faisant le moins de remous possible. Il ne faut pas effrayer ce que je suis venu chasser.
– Alors c’est bien sà’r, tu rapportes des rougets, m’a rappelé ma douce compagne, que j’ai réveillée à l’aurore, me levant tôt ce matin.
J’ai choisi une arbalète de petite taille et j’y ai fixé une foène avec des dents très fines en bout de flèche. Car, ce noble poisson est très fragile. Aussi, il ne faut pas le détériorer Je nage donc doucement vers le bord de la plage, je me laisse pousser par le faible restant de houle. J’observe bien le sable , vaseux en cet endroit. Je cherche un petit nuage au-dessus du fond. Car ce poisson, souvent, n’est pas visible. Dès qu’il vous entend, il va s’arrêter de fouir. Avec ses barbillons tactiles, il cherche sa nourriture : des petits vers de sable. C’est lors de cette recherche, qu’il fait remonter les fins sédiments qui vont le trahir. Ensuite, s’il sent le danger, tel un caméléon, il va prendre la couleur de l’endroit où il se tapit, là , sans bouger. Il obtient, cette faculté de mimétisme, en bougeant ses écailles qui reflètent ainsi l’environnement où il se dissimule.
Je connais cette ruse. Des que j’aperçois le signal de l’eau troublée, je stoppe ma progression et j’ouvre grands les yeux. à‡à y est ! Je le vois ! Je vais faire un grand tour, lui laissant croire que je vais m’éloigner pour le rassurer. Tranquille, il va recommencer son festin. Le malheureux Mulus Surmuletus, son nom latin, ne va pas me voir arriver à ras du fond après une coulée discrète, derrière lui. S’il n’entend pas le départ de ma flèche, il sera sur ma fouine bien pris derrière la tête, intact en fait. Ce n’est pas toujours aussi facile. Certains sentent le danger et partent comme des torpilles à des vitesses supersoniques. Ils deviennent, alors, impossibles à poursuivre. D’autres, font un bond en avant, entendant le claquement du départ du sandow sur l’arbalète. Et la flèche se plante dans le sable. Mais aujourd’hui, il n’y aura pas de raté, car ces pauvres poissons sont en période de frais, entre avril et juillet, donc, pas du tout méfiants. Pour nous deux, je vais en tirer quatre, c’est suffisant. Pas de massacre inutile. Je ne fais pas partie de ces exhibitionnistes de la photographie de sortie de l’eau avec ce qu’ils appellent un « Tableau ‘ Non, juste ce qu’il faut pour se nourrir, et surtout déguster ces mets de roi offert par la nature.
« Sous la mer, tu dois seulement prélever l’intérêt, ne pas toucher le capital ‘ m’a spécifié mon ami Nardo Vicente* qui justement officie sur l’àŽle des Embiez.
Je suis ce sage conseil qui devrait me garantir par la suite la possibilité de continuer à goà’ter aux joies de la chasse sous marine. Surtout, celles qui suivent, celles-là culinaires et gastronomiques, comme on va le voir maintenant. Hélas, tous n’en tiendront pas compte. Bientôt, il me sera bien difficile de « faire mon marché ‘ comme je le disais à femme en partant le matin.
Passons donc maintenant à la seconde partie. Celle-là sera épicurienne, et, gourmande ! Les quatre beaux rougets sont simplement rincés à l’eau de mer propre, celle des îles. On ne les ouvre pas, on ne les écaille pas. Car, comme m’ont appris,mes amis les pêcheurs du Brusc, à mes débuts :
– Jeune ! Le rouget, il faut qu’on te le dise ! Le rouget c’est la Bécasse de la mer !
Et, de m’expliquer pour me faire connaître la recette qui va suivre ce qui s’apparente à la bécasse, par le fait que le poisson, tout comme l’oiseau, n’est pas vidé. Ce qui ne manque pas de surprendre les Parisiens et Lyonnais qui, eux, ne consomment du poisson,qu’après l’avoir vidé, râclé et rincé à l’eau du robinet aux effluves javellisés.
ReprenonsAprès les avoir enduits légèrement d’huile d’olive, vous les salez amplement. Vous disposez vos poissons sur un grill, en les séparant par des branches de thym et de romarin. Le gril est mis en place au-dessus d’un lit de braises. Mais attention un peu en hauteur, vos poissons doivent se dorer légèrement, ne pas être carbonisés. Vous les tournez de temps en temps, en les badigeonnant d’huile d’olive dans laquelle vous aurez mélangé un peu de Muscat (çà c’est mon secret !). Vous faites griller doucement, douze à quinze minutes selon la taille des rougets. Pendant ce temps, tout en conservant un regard attentif sur votre pêche, vous pouvez, en apéritif, vous faire la bouche avec quelques olives accompagnant un petit jaune. Enfin, vous posez vos poissons, délicatement, sur vos assiettes.
Ce n’est pas fini, loin de là ! Nous arrivons à la partie la plus raffinée de cette belle journée. Votre rouget une fois dans l’assiette doit être ouvert délicatement. Dans les entrailles, qui ont bien fondues pendant la cuisson, il reste le foie. Le réserver dans le bas de votre assiette que vous aurez penchée au préalable. Vous y ajouterez deux ou trois gouttes d’huile d’olive, une goutte de vinaigre et vous en ferez une pommade fluide que vous étalerez sur les filets, avant de vous en délecter.
Où, autre formule qui ne cède rien à la première, comme il est écrit dans l’ouvrage, bien provençal « Les Maux des Mots ‘ de mon ami Serge Malcor : « le fruit de ces entrailles, surtout le foie, tartiné sur un croà’ton aillé chaud ferait devenir galavard le plus anorexique des ascètes ‘ Si ce n’est pas de la gourmandise çà !
Maintenant, pour parfaire votre repas, et surprendre vos invités nordistes, vous pouvez accompagner vos rougets d’une pomme de terre. Pas n’importe laquelle ! Pas cuite n’importe comment ! Vous prenez une belle amandine dont la chair blanche restera ferme. Vous l’enrobez d’un bon centimètre de notre terre argilo-calcaire, que vous avez transformé en pâte à modeler en y ajoutant un peu d’eau. Vous la mettez dans la braise en même temps que les poissons qui eux sont, au dessus, sur le grill. Si elle n’est pas trop grosse elle va cuire assez vite. Vous la sortez du feu et vous cassez la terre cuite, qui d’ailleurs s’ouvre en deux. Cuisiner ainsi, votre pomme de terre aura conservé tout son goà’t d’origine. C’est bien meilleur que dans l’aluminium et ça a une autre allure. Vous pouvez aussi et dans les mêmes conditions utiliser une patate douce, à condition toutefois qu’elle soit issue de la production agricole locale. Croyez-moi, si vous avez quelques convives Bobos, ils en resteront pour le moins surpris.
Avec un bon rosé de Bandol – il n’en manque pas – votre repas sera réussi et même diététique, mis à part les petits jaunes de l’apéritif, si il y en plus d’un !
* Nardo Vicente : Professeur Universitaire, Directeur du centre océanographique Paul Ricard, mon ami.
NDLR : Gérard Loridon écrit des livres savoureux, sa femme Dany les illustre. Vous retrouverez les titres sur le blog : http://scaph-blog.over-blog.com