A force de manger du saumon et des crevettes d’élevage et des filets d’importation, nous en oublions les espèces locales de nos proches rivages et les modes culinaires de nos régions. De la diversité et des rencontres naît la richesse humaine et culturelle. C’est ainsi que L’encre de mer et Slow Food Provence ont eu l’idée et l’envie d’organiser un stage « cuisine » en associant des « pros » de la gastronomie, des pêcheurs professionnels et des consommateurs « Slow Foodiens ».
Arnaud et Nathalie Beauvais, restaurateur et chef cuisinier au Jardin Gourmand de Lorient sont venus rencontrer leurs homologues provençaux, Benjamin Lagorce et Laurent Manson du Pied de Nez au Castellet, ainsi que Manon Ranc, traiteur itinérante spécialisée dans les produits de la mer. Pour ces professionnels, adeptes de la philosophie Slow-Food, la cuisine commence par le marché local de produits frais. Les Bretons ont ainsi découvert bon nombre d’espèces méditerranéennes : saupe, liche, corb, oursin, pélamide, sar, pageot… Pour les accompagnements, Benjamin avait fait ses courses de légumes chez un petit producteur bio de Saint-Cyr : une grande variété fraichement cueillie et forte inspirante (salades asiatiques, chou-rave, chou-fleur, blette, radis, carottes, poireaux, persil, betterave, noix, échalotte, oignons…).
A notre grand étonnement, la première réaction de Nathalie Beauvais fut de lever les filets des poissons, avec d’ailleurs une dextérité qui laisse pantois… « Nos clients ne veulent pas d’un poisson entier, nous avons donc l’habitude de cuisiner les filets ». Sa deuxième réaction fut de goà’ter chaque poisson en carpaccio afin d’apprécier la saveur de la chair crà’e et sa texture. Nos habitudes méditerranéennes nous porteraient plutôt à cuire les poissons entiers, voire même avec les écailles pour qu’ils cuisent dans leur coque naturelle.
Quelque soit le mode de cuisson, ce qui fait la différence avec le profane, c’est évidemment les accompagnements élaborés et diversifiés, et cette dynamique créative presque frénétique des chefs qui lancent plusieurs préparations en même temps tout en imaginant les suivantes ! L’un des pêcheurs, Michel Lavaix, avait apporté une bouteille d’huile d’olive « maison » tandis que Franck Ravez ouvrait les oursins qu’il venait de pêcher. Côté Bretagne, nous avons pu déguster des andouilles fumées de Guéméné et des crêpes de sarrasin, immenses et fines et ajourées comme de la dentelle. « La crêpière qui nous fournit a 7 ans de formation pour arriver à ce résultat« . Inoubliable la liche en aumônière de crêpe. ou la sauce bretonne montée au beurre et à la crème fraîche, et parfumée à l’andouille ! Certaines préparations bien crémeuses furent « coupées » à l’huile d’olive afin de ne pas trop heurter nos palais provençaux. Quant à la soupe de poissons de roche, elle fut parfumée au pastis, à l’ail et au safran dans les règles de l’art local. Les panisses furent le pendant des crêpes croustillantes et le petit épeautre de Haute-Provence donna du corps à une fondue de blette enrichie d’un fumet de poissons. Les mariages improvisés sont souvent réussis !
Autre étape de ce stage, nos professionnels ont rencontré une classe de première année du Lycée hôtelier de Toulon, avec leur professeur Guy Oboeuf, pour un atelier cuisine. Ensemble, nous avons découvert les variétés de poissons livrées par Didier Ranc, pêcheur à Saint-Elme (liche, maquereau, pélamide, sériole, marbré, sar…). Nathalie a proposé de faire des rillettes de maquereau en entrée, et a aussitôt relevé ses manches ! Le lendemain, les élèves ont préparé un magnifique repas « maritime » pour 40 personnes…