La bouillabaisse géante, il y a un après qui est un grand soulagement comme la vague qui déferle en poupe après t’avoir inondée de cape en pied ! Je n’avais pas imaginé que cela puisse être comme cela. Y a que des pêcheurs pour pouvoir gérer un truc pareil. Ils ont fait 1200 heureux, pendant 4 heures au moins ! En fait, ça va vite, je n’ai pas vu passer grand-chose, si ce n’est le stress de l’entrée, que chacun trouve sa place sans trop de heurts. A midi, on s’est rendu compte que j’avais vendu une table qui était déjà réservée ! Les pêcheurs se sont arrangés, évidemment. C’est une très belle aventure, parce que les gens arrivent, en groupe, en file, avec leurs âges divers, et puis aussi, parfois, leur petit caractère, l’angoisse de se trouver perdu au milieu de tant de monde, de ne pas en avoir pour leur frais., ils viennent de la planète individualiste que nous connaissons bien. Seulement voilà , le spectacle est étonnant : des pêcheurs, leurs amis, de jeunes volontaires sapeurs pompiers, tous bénévoles s’activent dans une ambiance joyeuse. En 5 minutes, ils se réconcilient avec le genre humain, se régalent, s’en pourlèchent, se re-servent et vont danser sous le ciel étoilé face aux vagues mistraliennes…
Moi, c’est les moments de préparation et d’après que j’ai préférés. On n’arrivait pas à aller se coucher, si heureux de pouvoir souffler, que ce soit fini, chacun racontant les petites histoires qui s’étaient passées tout au long des tablées, presque juvéniles face au monde social qui se déroulait alentour. Pour nous, c’était une embarquée un peu extra-ordinaire, il avait fallu se battre avec des oignons, des patates et des aulx, des oeufs à monter en mayonnaise, un énorme chaudron, des files de tablées et de chaises, des assiettes à n’en plus finir, et puis surtout répartir le service, expliquer à chacun ce qu’il aurait à faire et surveiller les postes clés comme celui des alcools par exemple. Et comme l’heure avançait, il avait fallu remplir peu à peu, et aux yeux de tous, cette marmite gargantuesque, et surveiller la cuisson du haut de la grue, tenir compte des rafales qui chassaient les flammes d’un côté et risquait de déséquilibrer la chaleur. Alors seulement la noria des serveurs avait commencé son long marathon. Je ne sais combien de kilomètres ils ont parcouru mais, à la fin, ils ne sentaient plus leurs pieds ! La journée avait commencé vers les 5 heures du matin avec le tri des poissons, suivi d’un petit-déjeuner aux sardines et aux saucisses grillées. Nous l’avons close vers les 2-3 heures avec des tartines de rouille ! La vie de pêcheur, ça fait pas dans la dentelle !
Les étapes de la plus grande bouillabaisse du monde :
Il y a la partie communale qui requiert pas moins de 5 services pour préparer le site, et il y a la partie prud’homale, chargée de la vente des tickets et de la « mise en bouche ». Trois réunions préparatoires permettront de « caler » les taches des uns et des autres.
Choisir une affiche, un logo, imaginer un tee-shirt, prévoir les bracelets « inviolables »… L’encre de mer mobilise ses artistes : Isabelle Tempier (Zabilou SARL) propose plusieurs dessins, tous plus rigolos les uns que les autres, sur des carreaux de porcelaine (sa spécialité) :
La peintre : Beate Ketterl-Asch reprend l’idée du poisson jaune et, après quelques tatonnements, avec l’aide de l’imprimerie SIRA, les dessins et logos sont choisis
Alors commence la vente des billets : 11 matinées à compter du 14 avril pour accueillir les participants, sur le port, aux côtés des pêcheurs, parfois en plein vent ou plein soleil, mais plus souvent, confortablement installés dans l’office du tourisme. Il y a ceux qui piétinent déjà depuis quelques semaines et arrivent à la première heure, le premier jour de vente, sà’rs d’être servis et bien placés. Il y a ceux qui, hésitants, imprévoyants ou avertis de la dernière heure, attendent le dernier quart-d’heure avant l’ouverture. Pas tous ne seront chanceux. Et il y a ceux qui – grâce leur soit rendue – collecte de leurs côtés des places pour acheter un lot de 6, 8, 15 billets, voire une, ou même deux ou trois tablées. Ils feront une pré-réservation et reviendront à plusieurs reprises, au fur et à mesure des rentrées d’argent, payer leur lot.
Dans le même temps, les commandes sont passées : location de vaisselle, bois (3 tonnes), vins (580 l) et alcools, glaçons, épices, vaisselle jetable, huiles, 900 oeufs, légumes, 350 kg de soupe et poissons (1 tonne 864), croà’tons (400 baguettes) et baguettes (50), glaces… Rien à dire, les fournisseurs de deux ans en deux ans chouchoutent les pêcheurs pour cet événement exceptionnel. Ils font des remises, facilitent les conditions de livraison, bref, on se souvient de nous et ça tourne… Reste encore l’assurance en responsabilité civile. Mais pour la première fois, devant les changements de temps erratiques, les forts coups de vent fréquents et imprévus, les ondées subites… les pêcheurs s’inquiètent d’un mauvais coup du sort. Et s’il fallait rembourser tous les tickets alors que la marchandise serait déjà achetée… Et pour plus de tranquillité, pour la première fois depuis vingt ans, ils optent pour une assurance intempérie. Une semaine avant, le mistral s’en donnait à cœur joie, et aussi une averse orageuse avait, le temps d’une soirée, troublé le petit port et sa scène théâtrale sise sur la moitié du parking. Là encore, le coà’t onéreux de cette sage résolution est amoindrie grâce au soutien de l’agence Otazzi-AXA.
Deux jours avant, les services de la commune s’activent autour de l’esplanade. Après un soigneux nettoyage du site – c’est pas tous les jours que l’on mange et danse sur le parking du port – la commune a déjà fait installer l’infrastructure et l’équipement associé : tentes, tables, chaises, sable pour le bà’cher, marmite, grue de levage, toilettes chimiques, barrières, éclairage, extincteurs, scène pour l’orchestre…
Un jour avant, tout s’accélère : au petit matin, les oignons et les têtes d’ail – de l’aillet encore jeune et frais – sont livrés près de la cabane des pêcheurs. Armés de couteaux, ces derniers, assistés de quelques amis, se livrent à quelques heures d’épluchage. Passés quelques dizaines, les gousses brà’lent les doigts, tant-pis, on continue et les commentaires font passer le temps. Seul le prud’homme, tendu par la responsabilité qui pèse sur ses épaules, affiche, entre deux coups de fil, une certaine nervosité.
Déjà , la répartition des tâches s’organise pour aller chercher différentes livraisons, ainsi que le camion frigo qui permettra de transporter et conserver les denrées périssables et tenir les boissons au frais. Pour les glaces et glaçons, deux congélateurs ont déjà été apportés et installés dans le cabanon.
L’après-midi, la rencontre se fait dans les cuisines de l’école de La Vernette. Pas besoin de plan, du parking, l’on peut suivre notre équipe à l’odeur aillée. Trois équipes en fait. L’une s’attèle à l’épluchage mécanisé, puis à la découpe en lamelles, toujours mécanisée, des patates, une autre hache l’ail et la répartit en barquettes, la troisième, avec l’assistance d’une ingénieuse machine, sépare les blancs des jaunes d’œufs tandis que les chefs prépare la rouille à l’aide d’un grand batteur.
Les patates sont épluchées et coupées en fines lamelles, l’ail est râpé, la rouille est fin prête, odorante à souhait, salée, poivrée, légèrement pimentée, colorée au curcuma (pas la peine de mettre du spigol ou autre colorant…) et surtout, montée à l’huile de tournesol… si si, c’est le secret pour qu’elle tienne bien. L’huile d’olive est rajoutée à la fin pour le goà’t, n’en déplaise aux puristes ! Cédric a changé les manches des écumoires, prêtes à plonger en temps voulu dans le chaudron magique.
Le jour « j » commence tôt, avec la livraison des poissons qu’il faut ranger savamment dans l’ordre de cuisson, celui avec lequel ils seront rangés dans la marmite. La marchandise est belle, aux dires des pêcheurs, et l’arrivage des favouilles est l’occasion de quelques farces.
Et que l’alu brille comme du nickel !
Le rodéo du bà’cher :
Nous petit-déjeunons sur le quai de sardines et de saucisses grillées, arrosées de vin.
La température est presque fraîche et l’ambiance joyeuse. C’est sur la scène du parking là -bas qu’elle va monter inexorablement tandis que s’affairent les uns et les autres. On va chercher les dernières marchandises, les nappes s’envolent, impossible de poser verres et serviettes, on verra ce soir, et pour que nos convives s’y retrouvent, chaque place, sous l’augure d’un des 52 noms de poisson ou de crustacé, est numérotée.
Et ça commence…
Une heure de cuisson sous l’œil avisé du prud’homme et la vigilance des pompiers…
Soupe d’abord, suivie des poissons…. Chaud devant !
Ce qui intrigue Lucien : « Comment peut-on faire aussi bon avec une telle quantité ? »
Tandis que l’orchestre s’emballe, s’empile la vaisselle ! Et quand le silence revient, que se vide peu à peu la salle de balle improvisée – dommage le parquet n’était pas ciré – que les tentes s’évanouissent dans la nuit et que les braises, longuement arrosées, finissent par s’éteindre elles aussi, les pêcheurs et les femmes de pêcheurs, les caisses d’assiettes et de couverts prêts à être embarqués d’ici quelques heures, se consolent de n’avoir pas goà’té à cet extraordinaire plat qui a ravi les tablées en dégustant quelques croà’tons de rouille…. Quand on vous dit que, montée à l’huile de tournesol, elle tient… longtemps.
9 heures du matin : on range !
Merci à tous les convives qui font « l’événement » et qui par leurs chaleureux remerciements récompensent la communauté des pêcheurs de son engagement. Et nos salutations les plus amicales à la petite Marie qui a choisi de naître à ce moment-là , privant ses parents d’un bon gueuleton. L’apéro n’était pas commencé qu’ils sont partis dare-dare à la maternité sous l’escorte des pompiers. En espérant les voir tous les trois lors de la prochaine !
Diaporamas : Pascale Marcaggi et Elisabeth Tempier
Voir encore :
– Petit film de la bouillabaisse 2010 sur Six-Fours.net
– autres photos prises par Emmanuelle Tempier sur le site de Zabilou.net