Un très beau crà’ que cette cinquième édition du Festival « Pêcheurs du monde » ! A croire que les réalisateurs, au travers du prisme sélectif de cette équipe passionnée, suivent pas à pas nos désirs profonds qu’ils mettent en images, en mots, en histoires.
L’an dernier, loin des discours, des problématiques et des voix off, ils s’impliquaient directement dans la vie quotidienne des pêcheurs, partageant leurs conditions et leur univers souvent difficiles. Inoubliable, l’engagement de Frédéric Tonolli auprès d’une communauté de pêcheurs tchouktches dans « La mort d’un peuple ».
Cette fois-ci, ils nous font découvrir l’engagement collectif de communautés qui cherchent à préserver leur condition de vie. Et tout y est, relaté avec talent et sensibilité malgré la difficulté de la tâche. Car ils nous font suivre et comprendre une lutte engagée, parfois sur du long terme, les déboires, les événements, les personnages qui s’incarnent dans ce combat, mais aussi les doutes, les interrogations, les peurs, les dissensions, et les joies parfois, qui ébranlent ces communautés. Allez voir : « The pipe », « Downeast », « Comme l’abeille qui fait tourner la terre » (cf. ci-dessous). Ces luttes pour la survie d’une collectivité enracinée n’ont pas toujours une fin heureuse mais elles laissent une empreinte profonde, un fil d’humanité qui se transmet nécessairement. Ce qui me marque dans celles-ci c’est la forte implication de gens souvent âgés, et le mélange des milieux et des horizons qui bouleversent quelques idées reçues, une belle ouverture pour envisager l’avenir…
Avec « Mbêkk Mi, le souffle de l’océan » de Sophie Bachelier, c’est une autre forme de résistance à laquelle se livrent ces femmes sénégalaises. Par leurs témoignages directs sur leur histoire et leurs souffrances, elles acceptent de transgresser les codes de leurs cultures. Une façon pour elles de sauver d’autres vies, de nous alerter sur les conditions qui poussent leurs fils, leurs maris et leurs proches à tenter de traverser l’océan, de nous interpeller sur les situations qui s’ensuivent… Des récits poignants, filmés sobrement en noir et blanc, comme pour laisser transparaître la dignité de ces femmes, leur voix dans les sonorités de la langue natale…
Parfois aussi, la lutte est ancienne comme dans le cas de « 24 rue du port » de Frédéric Violeau à la recherche de racines à Noirmoutier. Les images d’archives de 1973 montrent que la population locale s’est élevée contre le projet pharaonique de construction d’un port dévolu au tourisme. A propos du déplacement de la plage : « Pour vous, c’est 150 mètres, pour nous, c’est notre plage. Vous êtes un bouc-émissaire pour des intérêts particuliers« . C’est la grand-mère, truculente, de Frédéric qui renoue avec l’histoire : « Un futur marin qu’il dit maintenant, il est pas rendu ! As-tu changé d’avis ? » dit-elle à son petit-fils adolescent, passionné de pêche. A propos d’Harry Borr, « le premier touriste », elle souligne : « Il était pas fier lui, il allait manger à bord des sardiniers« . Elle évoque une vie simple : « Les 3/4 étaient marins, autrement ils étaient cultivateurs… Le ragout de berniques, ça revenait pas cher, 2 ou 3 patates, 2 oignons, ça faisait un repas. » Elle remarque : « On n’avait pas d’touristes mais des ouvrières de mai à la Toussaint, c’était plus qu’un mois et demi. 200 Bretonnes, ici, ça remuait plus que maintenant… » L’un des pêcheurs note : « Les pêcheurs étaient des gens qui travaillaient pour gagner leur vie, pas pour gagner de l’argent, c’est un changement dans la façon de vivre, un changement de but ». « Le déracinement déracine tout sauf le besoin de racines » conclue le réalisateur…
Et dans cette très belle sélection que nous n’avons pu voir en entier, certains films étant projetés aux mêmes heures, nous avons remarqué le magnifique film d’archive de Robert Flaherty (l’auteur de Nanouk l’esquimau) : « L’homme d’Aran » ainsi que 2 thèmes bien abordées : « Du rififi dans l’écume » d’Herlé Jouan avec la question du braconnage des pousse-pieds par les pêcheurs espagnols et « Le mal de la mer » d’Edouard Bergéon sur la question de la drogue et des jeunes pêcheurs.
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– Hors compétition mais primé déjà plusieurs fois, « The pipe » de Risteard O’Domhnaill relate huit années de lutte d’une petite communauté de fermiers et de pêcheurs irlandais confrontée à l’installation par Shell d’un puits et d’un pipeline sur leur territoire. Côté maritime, des terroirs pour les crabes et autres espèces pour lesquels les pêcheurs ont des licences ; côté terrestre, des communaux gérés pour l’élevage et une immense tourbe. ‘Tout ce qu’on sait avec la tourbière, c’est qu’on sait qu’on ne peut lui faire confiance« , le creusement en aval peut engendrer des bouleversements du sol bien en amont… Contre l’Etat et les services de l’armée et de la police, et contre cette multinationale, les habitants vont résister pour faire valoir leurs droits : une injonction de la justice de ne pas entrer dans les communaux, la reconnaissance de leur licence de pêche et la protection des zones afférentes. Déterminés ces hommes et ces femmes dont certains ne sont pourtant plus très jeunes : « Nous ne voulons pas un acte historique, nous avons prévu de gagner… Si on ne prend pas toutes les précautions pour être entendus, Shell parlera pour nous… Nos pêcheurs étaient là bien avant Shell. »
– « Downeast » de David Redmond et Ashley Sabin, primé par le festival par le jury professionnel et le jury jeunes, retrace l’engagement total d’un entrepreneur pour réouvrir une conserverie de sardines fermée un an plus tôt dans un port de la Nouvelle Angleterre, et la transformer en conserverie de homards. Il va être soutenu par les anciens employés de l’usine, essentiellement des femmes, et les pêcheurs qui, malgré leur âge, ne bénéficient pas de retraites et souhaitent y travailler directement, ou indirectement. Contre des intérêts privatifs (mareyeurs dont le maire, transporteurs, usiniers), cet homme tente, avec cette communauté vieillissante, de relancer une source de développement local.
– ‘Comme l’abeille qui fait tourner la Terre » de Shukichi Koizumi. Voilà près de 30 ans que ces îliens défendent un territoire magnifique contre un projet de de complexe nucléaire. Etonnantes ces vieilles dames, récolteuses d’algues, qui s’associent avec bonne humeur à un jeune revenu sur l’île…
Jury professionnel
– prix du long métrage : Downeast de David Redmond et Ashley Sabin
– prix du court métrage : Pirate fisherman in South Africa de Soren Christensen
– mention spéciale : Léviathan de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor
– mention spéciale : Tagikaks de Kira Jà¤à¤skelà¤inen
Jury jeunes
– prix du long métrage : Downeast de David Redmond et Ashley Sabin
– prix du court métrage : Huis clos en mer d’Ecosse d’Adélaïde Castier et Thierry Bouilly
– mention spéciale : Léviathan de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor