Depuis mai 2010, un circuit court de distribution de poissons s’est mis en place entre les pêcheurs de l’île d’Yeu et les AMAP de l’agglomération nantaise
Une initiative des pêcheurs
L’initiative est venue du maire de l’île, Bruno Noury, qui est aussi en charge de l’organisation des producteurs de l’île. Les pêcheurs de l’île d’Yeu sont inquiets de l’effondrement du nombre de bateaux et des menaces pour la survie de leur criée. La pêche est essentielle pour assurer l’emploi à l’année. L’interdiction des filets maillants dérivants a eu un fort impact sur l’activité traditionnelle de pêche au thon et, en 2010, l’interdiction de la pêche au requin taupe a touché 5 bateaux hauturiers. Le prix d’achat du poisson ne cesse de baisser à la criée et sa survie est menacée si l’hémorragie continue. Bruno Noury a donc pris contact avec les fondateurs de la première AMAP en France, dans le Var, et avec les AMAP de Loire-Atlantique.
Une longue préparation
La distribution de poisson par des AMAP pose des problèmes particuliers plus complexes que celle de produits agricoles. Il faut respecter la chaîne du froid, la production est impossible à planifier, la participation des pêcheurs à la distribution est difficile à organiser, les consommateurs connaissent très mal les conditions concrètes de l’activité de pêche, ses contraintes et ses aléas. Il faut donc une longue préparation pour surmonter tous ces problèmes. Les réunions et les groupes de travail entre pêcheurs et Amapiens ont permis d’aboutir à la rédaction d’une charte et à la mise au point d’un système de distribution, expérimenté en mai 2010.
Une gestion complexe et rigoureuse
Quatre bateaux sont concernés par cette initiative. Le poisson passe sous criée et il est acheté par la coopérative de mareyage qui assure ensuite la préparation des poissons et leur mise en caisse sous glace. Les caisses sont mises en conteneur et déposées dans un camion frigorifique au port de Fromentine. Ce camion est conduit par un pêcheur ou un ancien pêcheur. Ce sont donc les pêcheurs qui assurent la livraison d’un bout à l’autre de la chaîne, jusqu’aux divers lieux de livraison choisis par les AMAP. La première livraison-test a représenté environ 80 colis de 3 kilos à 10 € le Kilo, déposés dans 3 lieux et livrés au cul du camion, pour des raisons sanitaires. Sur les 10 € , 8 € reviennent aux pêcheurs et 2 € au mareyage et à la logistique. L’expérience s’est révélée très positive, mais souligne également quelques difficultés : difficulté au départ pour louer un camion frigo, faible disponibilité des pêcheurs pour participer aux distributions car ils perdent 2 jours de mer, conditionnement non recyclable.
Un développement rapide
Sur la base de cette expérience et avec les ajustements nécessaires au moment du renouvellement des contrats, le circuit des AMAP se développe autour de 4 bateaux, trois côtiers et un hauturier. Les pêcheurs concernés s’organisent en GIE (Groupement d’intérêt économique) et les points de distribution sont définis : 7 en 2011 et 14 en fin 2013. Chaque contrat, de septembre ou octobre à juin, représente 9 ou 10 livraisons, soit une par mois au prix de 30 €, puis 33 € pour tenir compte de l’augmentation des prix du carburant et autres charges. Les pêcheurs ont acheté un camion frigo qui réalise une livraison hebdomadaire assurée par un ancien pêcheur et parfois l’un des pêcheurs engagé. La différence entre le prix de vente en criée et le prix de vente à l’AMAP, une fois les frais déduits, est directement reversée aux pêcheurs et ne rentre pas dans la part armement, ce qui est une innovation
Des bénéfices pour les pêcheurs
Pour les pêcheurs, le circuit des AMAP se révèle avantageux. Leur revenu est considérablement amélioré d’environ 3000 € par an. Ceci n’est pas négligeable quand le salaire varie de 1500 à 1700 € par mois et cela seulement les bonnes années. Fin 2013 ; la marge supplémentaire pour les pêcheurs est de 1,7 €. Le nombre de colis n’atteint pas toujours les 80 espérés, mais ce sont parfois 120 ou 150 colis et de nouvelles perspectives de livraisons se précisent à Angers et à Chateaubriand. La livraison aux AMAP et essentielle pour le fonctionnement des bateaux concernés qui assurent ainsi 5 à 20% de leurs ventes. Cependant la participation des pêcheurs aux livraisons reste très difficile car trop contraignante. Une présence tous les 3 mois est souhaitée, mais pas toujours réalisable.
Des Amapiens mobilisés malgré des difficultés
Dans leur majorité, les Amapiens sont satisfaits. Certains ont pu découvrir le métier des pêcheurs lors de diverses rencontres sur l’île, y compris avec des sorties en pêche. Ils ont découvert de nouveaux poissons et coquillages. L’initiative nantaise va essaimer sur d’autres villes.
Cependant il ne faut pas nier les difficultés que l’on retrouve d’ailleurs dans d’autres expériences comme LESPAR contrat pour diverses raisons. Des paniers de 3 à 4,5 kg sont importants mais le poisson peut être congelé, pour certains, la variété des poissons est insuffisante, il y a peu de poissons nobles. La gestion des chèques mobilise beaucoup de temps pour les coordinateurs. et sans coordinateurs, pas d’Amap possible.
Un appui essentiel pour les pêcheurs artisans
L’appui aux pêcheurs artisans par une AMAP constitue un engagement contraignant que seule la qualité des relations établies avec les pêcheurs permet de pérenniser. L’engagement des pêcheurs est aussi fondamental et contraignant pour eux même si les résultats sont importants.
L’expérience de l’île d’Yeu montre que les AMAP peuvent constituer un outil essentiel pour la survie de la pêche artisanale dans des lieux éloignés des consommateurs. Les pêcheurs de l’île sont soutenus dans leur démarche par les structures professionnelles et l’AMAP a permis de conforter les outils portuaires (criée et coopérative de mareyage). L’Amap a également permis aux pêcheurs de faire comprendre leur situation, leurs contraintes, leurs difficultés et les menaces sur leur avenir. Cette ouverture et ce renforcement de leur maîtrise sur la commercialisation et la valorisation de leurs captures sont déterminants pour leur avenir.
Alain Le Sann Décembre 2013, à Lorient.
Paru dans le Bulletin n°105 du Collectif Pêche et Développement