Tant de films en quelques jours !
Au retour, la terre est belle, collante après les pluies printanières ; vert tendre les feuilles enroulées de la fougère, surgies au cœur de la chevelure épanouie…
Chaque film est un chant, il en est des tristes, lancinants, instructifs, révoltants ; il en est des régalant ! Deux m’ont particulièrement réjouie. L’art du réalisateur excelle quand il devient modeste pour laisser s’exprimer pleinement la vivacité de ses sujets.
De Michel Brault et Pierre Perrault dont il est dit qu’ils préféraient trouver une autre scène prise sur le vif plutôt que de demander à leurs protagonistes de rejouer, « Pour la suite du monde » est un bijou dont on savoure les dialogues, l’histoire, la culture de ces Québecois soucieux de ré-expérimenter, pour transmettre au monde, la « pêche au marsouin ». Face à ces géants du cinéma, un tout jeune réalisateur, québecois lui aussi, filme une pêche sénégalaise, à 14 sur une pirogue, partis 7 jours loin des côtes sablonneuses (1).
Le filet est tiré « à bras » dans un effort éprouvant scandé par les mélopées, diatribes inénarrables sur la politique ou contre le cuisinier qui ne fait pas assez à manger. Cette Afrique-là se révèle énergique, pleine d’humour et de culture. On aime ces hommes et leur goà’t de vivre, si âpres soient le labeur et le contexte économique et politique. On salue ce réalisateur un peu fou qui n’avait jamais vraiment navigué et qui a réussi à suivre ses turbulents acteurs malgré sa propre difficulté à comprendre leur langue locale. Le premier film était hors compétition, le deuxième a été primé par les 2 jurys, jeune et adulte.
Alors, bien-sà’r, des autres films visionnés, il nous reste des images, des ambiances, des sujets, des combats, une douceur parfois de la caméra sur les visages de femmes ou d’enfants (2), la douceur des poèmes de Mahmoud Darwish (3). Les pêcheurs de Ponta Abrejos (4) qui ont réussi, en Basse Californie, à ce que leur communauté, forte de 144 pêcheurs, profite dans son ensemble des hauts prix des marchés asiatiques pour les langoustes et les ormeaux témoigne d’une réussite collective. Elle est aux antipodes de l’enrichissement par le thon rouge de quelques rares familles de senneurs méditerranéens (5).
La compétition productiviste poussée à l’extrême épuise les ressources, met en danger l’environnement (6), spolie les communautés côtières et les populations indigènes de leurs droits coutumiers (7), exploite les hommes traités parfois en bétail ou même en esclaves (8). Une fois passée l’embellie demeurent quelques bourreaux désabusés et leurs victimes dans un désert de culture, de valeurs et d’humanité (9). De nombreux films en témoignent.
Il est des films qui épousent de belles causes. Les débats qui suivent mettent à jour, mettent en cause parfois, ou confortent le prisme du réalisateur. En cela, ils sont nécessaires, bénéfiques, enrichissants comme ce festival dont l’histoire s’écrit d’année en année et au sein duquel se tissent des amitiés longues ou éphémères.
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(1) « Suivre la marée » de Thomas Szacka-Marier
(2) Je pense notamment à « Chronicles of oblivion » de Priyanjana Dutta et « A river changes course » de Kalyanee Mam
(3) « Donne un poisson à un homme » d’Al Astal Iyad
(4) « Punta Abreojos, une communauté exemplaire » de Stéphanie Brabant
(5) « Balfego, le thon de père en fils » de Clément Gargouliaud
(6) « Requiem pour les huîtres » de Rémi Laugier, « Saumon à tout prix » d’Erwan Le Guillermic et David Morvan, « Erika, histoire d’un combat » de Christophe Hoyet…
(7) »Fishermen » de Viktoria Marinov sur la pêche de la morue en mer Baltique et « Canning paradise » d’Olivier Pollet, ou l’impact de l’industrie liée au thon, en Papouasie Nouvelle Guinée, notamment sur les terres indigènes.
(8) « Sold to the sea » de Environmental Justice Foundation
(9) « Il limite » de Rossella Schillaci