L’Association des peuples de montagne du monde (APMM) a adopté, en 2003, une charte à l’issue de rencontres entre les représentants des territoires de montagne de 40 pays. Lors des rencontres de Guérande autour de la préservation des biens communs, il a été envisagé la rédaction d’une charte commune entre gens de la mer, de la montagne et de la forêt. De fait, en remplaçant, dans le texte, la « montagne » par la « mer », les peuples des montagnes, comme les pêcheurs et les conchyliculteurs, semblent attacher la même importance à la préservation de « leurs territoires » qui font partie intégrante de leur activité et de leur vie.
Charte des populations des montagnes du monde(autres langues : anglais, allemand, espagnol, italien, hindi)
1. Nous croyons en l’avenir de la pêche et des cultures marines artisanales
Quitter la pêche et les cultures marines artisanales est un déchirement. Parce qu’elles requièrent de nous force et patience, renoncement et sacrifices, énergie et courage, imagination et pugnacité, parce que nous avons appris à respecter nos territoires et à en défendre l’intégrité, notre attachement à nos métiers est fort. Parce qu’ils nous offrent, en retour, la beauté et la sérénité des paysages marins, parce qu’ils nous conduisent à la réflexion et au recueillement, parce qu’ils nous mettent naturellement en harmonie avec la nature, ils sont source d’inspiration et d’élévation. Nous gardons et perpétuons à travers eux le souvenir des générations qui nous ont précédés et qui ont façonné notre culture. Nous leur sommes reconnaissants de nous avoir transmis ce patrimoine. Nous avons le devoir de ne pas laisser ces territoires se dégrader, ce patrimoine se dilapider, cette culture se banaliser. Nous ne sommes pas condamnés à l’abandon et à la reconversion. Nos territoires peuvent nourrir les populations littorales et au-delà . De réelles perspectives s’ouvrent à nous. La société contemporaine exprime de fortes attentes. La pêche et les cultures marines artisanale retrouvent une nouvelle vitalité en offrant des produits diversifiés de grande qualité, en exerçant de nouvelles fonctions d’observation et de gestion littorales et en s’intégrant dans les développements économiques de nos régions. Nous disposons de ressources marines importantes qui doivent être mises en valeur, économiquement et écologiquement ; et leurs bénéfices doivent être mieux répartis. Le tourisme, maîtrisé, peut être le vecteur de flux financiers importants et partagés. Nos valeurs et nos savoirs locaux, la connaissance intime de nos territoires demeurent des points d’appui exceptionnels pour progresser. Nous avons la volonté de faire de toutes ces potentialités une réalité : voilà pourquoi nous croyons en l’avenir de la pêche et des cultures marines artisanales.
2. Nous revendiquons notre juste place dans la société
La mer et les océans diffèrent de la terre. Ils ne doivent pas être mis à part. La société ne doit pas exclure les communautés de pêcheurs et de conchyliculteurs, ni marginaliser leurs territoires. Elle ne doit pas non plus chercher à uniformiser ou assimiler, en ignorant leurs spécificités et leurs particularités. Les pêcheurs artisans et les conchyliculteurs doivent avoir accès aux mêmes droits sociaux et politiques et aux mêmes chances de développement. Nous savons que pour en arriver là , c’est un long chemin. Certaines communautés l’ont parcouru, souvent avec beaucoup de difficultés. D’autres, trop nombreuses, sont encore délaissées, rejetées, spoliées, méprisées, cantonnées. Certains pêcheurs et conchyliculteurs se sont enrichis mais asservis par une ressource aléatoire et un marché toujours plus exigeant. Nous ne demandons pas l’égalité des situations mais l’équité qui vise à corriger de façon durable les handicaps et les injustices. Nous voulons construire une société qui dispense à tous ses habitants les services clés de tout progrès social, économique, politique : la formation et l’enseignement, le logement et la santé, la possibilité de communiquer et de se déplacer. Les pêcheurs et les conchyliculteurs ne veulent pas demeurer dans des situations d’inégalité qui portent atteinte à leur dignité. Ils ne veulent pas apparaître comme des quémandeurs quand ils ne demandent que la justice et le droit. Ils veulent disposer de moyens d’expression et de représentation pour faire valoir l’une et l’autre avec force et démocratiquement.
3. Nous voulons élargir le champ des possibles pour la pêche et les cultures marines artisanales
Nos territoires maritimes, longtemps dédaignés, intéressent de plus en plus nos contemporains. Pour les uns, il constitue un espace de loisirs et de détente, pour d’autres un milieu voué à la conservation de la nature, pour d’autres encore une source d’exploitation (énergie, tourisme, minerais). Les mers et les océans ne sont pas réductibles à ces trois dimensions. Nous devons assurer au mieux ces fonctions récréatives, environnementales, productives nécessaires à l’équilibre de la société, au maintien de la richesse naturelle, et à notre développement, mais nous ne devons pas nous y dissoudre. Nous ne voulons pas être seulement un territoire d’accueil, des gardiens de la nature ou une société de service. Nous avons d’autres ambitions et d’autres atouts à faire valoir. Nous voulons construire une société fondée sur la diversité de ses métiers et de ses composantes sociales et humaines, facteur de solidité économique et d’enrichissement social. Nous voulons que les activités halieutiques et conchylicoles, qui font vivre les populations, préservent les zones maritimes et assurent le renouvellement des ressources naturelles, soient considérées comme d’intérêt général. Nous refusons de fonder la richesse maritime sur la vente de son patrimoine et l’affermage de son territoire. La richesse maritime doit naître de notre capacité à produire, sans dégrader notre capital, et à créer une réelle valeur ajoutée au plus grand bénéfice des populations littorales et de la communauté nationale. Nous voulons également que notre jeunesse, en continuité avec les générations précédentes, puisse pérenniser la vitalité de notre littoral. Nous devons lui offrir d’autres alternatives que le départ ou la reconversion, et l’inviter à investir toute sa créativité dans un nouveau développement de notre « pays ‘.
4. Nous voulons retrouver la maîtrise de notre développement
Nous avons le sentiment de peser de moins en moins sur le devenir de nos territoires maritimes. Les décisions stratégiques sont trop souvent prises par des entreprises extérieures qui décident sans nous de l’avenir de nos ressources. La gestion du territoire est captée par une administration qui veut en contrôler étroitement l’usage. Les intervenants extérieurs, institutions ou organisations, imposent trop souvent des modèles ou techniques de développement qui déstructurent nos sociétés locales. Nous subissons la pression de groupes divers et variés qui veulent décider sans nous, et souvent contre nous. Nos zones d’activité tendent ainsi à devenir un territoire subordonné, un territoire objet, dont le sort est réglé en dehors des pêcheurs et des conchyliculteurs, de leurs communautés et des communautés locales dans lesquelles ils s’insèrent. Faute d’avoir suffisamment prise sur la réalité nous devenons impuissants à modifier le cours des événements, à maîtriser les forces économiques et sociales qui provoquent des ruptures brutales. Nous voulons mettre fin à cette situation : nous voulons à nouveau « habiter ‘ notre pays et nos territoires. Les communautés de pêcheurs et de conchyliculteurs doivent redevenir les véritables acteurs de leur destin. Elles doivent retrouver le pouvoir de gestion de leurs territoires non sans se soumettre aux règles d’usage qui doivent être élaborées démocratiquement et en concertation avec les différents acteurs. Nous voulons maîtriser l’exploitation de nos ressources marines et bénéficier pleinement de leurs retombées économiques. Nous voulons choisir nos propres voies de développement et de gestion de nos territoires, renouveler et équilibrer les rapports économiques et humains entre le littoral et les autres territoires auxquels son avenir est lié. Nous voulons, grâce à une capacité renforcée de conception et de décision, mieux maîtriser les filières de nos produits. Nous souhaitons que les scientifiques et les experts, quelle que soit leur spécialité, travaillent à nos côtés. Aux niveaux supérieurs où se prennent les décisions stratégiques qui vont décider de notre avenir, nous voulons être présents. Nous voulons à travers nos collectivités, nos organisations, être reconnus comme de véritables partenaires avec lesquels les décisions qui les concernent sont prises de façon contractuelle.
5. Nous voulons agir au travers de communautés fortes et unies
Individuellement nous pouvons faire beaucoup pour nos territoires régionaux, chacun dans notre domaine d’activité ou de responsabilité. Les mers et les océans ont grand besoin de ces initiatives. Notre véritable capacité à faire progresser l’ensemble des acteurs concernés ne peut être que l’effort conjugué de tous, l’action convergente des habitants, la mise en commun des ressources de nos collectivités. A celles-ci de faire naître et d’incarner la volonté collective d’aller de l’avant. A nous tous de les soutenir dans leurs actions pour gérer au mieux les territoires communs, assurer les services à la population, réaliser les équipements, mettre en valeur les ressources collectives, soutenir le développement de l’économie, maintenir la fécondité des cultures locales. Notre engagement citoyen est tout autant la clé de la réussite collective. Si la gestion doit être déléguée, elle doit être aussi vivifiée en amont par une participation étroite des citoyens et confortée en aval par une évaluation régulière. Il en va de la cohésion et de la capacité des collectivités à avancer et à faire progresser toutes ses composantes. Ayant mobilisé nos propres moyens et rempli nos propres obligations nous pouvons exiger de l’Etat qu’il remplisse celles de la collectivité nationale envers nos communautés qui, avec des moyens réduits doivent affronter un environnement complexe. La première des obligations de l’Etat est la justice : à situations différentes, politiques différentes. La seconde est la liberté de gestion : à collectivité démocratique, autonomie de gestion.
6. Nous voulons nous organiser pour peser sur les décisions qui nous concernent
Le développement est largement tributaire des règles du jeu économique appliquées au niveau national ou retenues dans les accords internationaux. Les mers et les océans sont particulièrement vulnérables, par bien des aspects, aux politiques libérales en raison de leur fragilité et des opportunités qu’ils peuvent représenter pour l’industrie. Leur exploitation est aussi très dépendante de l’intervention publique. Aussi nous devons être présents partout où, du local à l’international, s’élaborent des décisions qui mettent en cause nos territoires. Nos porte-parole seront d’autant plus entendus qu’ils seront représentatifs des communautés de pêcheurs et de conchyliculteurs artisans. Ils seront d’autant plus convaincants qu’ils s’appuieront sur des études et des dossiers de haute qualité. Nous devons leur donner cette légitimité démocratique et cette capacité à négocier au nom de communautés de pêcheurs et de conchyliculteurs représentatives, et dotées de réels moyens d’action. L’existence et la force de ces organisations sont d’autant plus nécessaires aux gens de la mer qu’ils sont dans une situation de sous-représentation dans leur pays et qu’ils doivent lutter contre le mouvement naturel qui conduit à satisfaire d’abord les concentrations humaines plutôt que les territoires. Nous avons donc le devoir d’assurer partout une représentation des territoires maritimes pour obtenir des arbitrages favorables. Mais nous devons aussi savoir découvrir l’universel à travers nos problèmes particuliers et nous associer à ceux qui défendent des valeurs identiques.
7. Nous voulons construire une communauté des hommes et des femmes de la pêche et des cultures marines
Nous estimons que la cause de la pêche et des cultures marines peut réunir au sein d’un même mouvement les populations de pêcheurs et de conchyliculteurs de tous les continents, du sud au nord et de l’est à l’ouest, car nous avons tous, malgré les différences de culture, de revenu, de conditions de vie, d’organisation sociale, un point commun : l’attachement à nos territoires et à nos communautés littorales, notre volonté de ne pas dissoudre ces relations qui nous unissent, de continuer à vivre de cette activité et de veiller à sa pérennité. Nous nous considérons confrontés au même défi fondamental, celui d’un développement que nous voulons équitable et maîtrisé par nous, dans un contexte historique où les identités s’effacent devant un modèle culturel unique et où les plus faibles sont menacés de voir les retards et les disparités s’aggraver. Nous devons nous unir pour répondre à ces défis en nous entraidant et en mobilisant nos moyens au bénéfice de toute la collectivité des artisans de la mer. Nous voulons créer une communauté où les plus défavorisés seront les premiers défendus. Nous voulons que chacun prenne conscience, populations de pêcheurs et de conchyliculteurs, nations, communauté internationale de ce que représentent la pêche et les cultures marines, ce qu’elles apportent à l’humanité en termes de produits, de services, d’environnement, de pratiques sociales, de gestion collective, de mode d’utilisation de l’espace, de valeurs, de cultures. Nous voulons assumer totalement nos responsabilités à l’égard de la communauté nationale comme de la communauté internationale. Les communautés de pêcheurs et de conchyliculteurs le feront d’autant mieux qu’elles seront organisées démocratiquement et maîtriseront le devenir de leur territoire. Notre alliance doit permettre à des peuples très différents de se rencontrer sur un projet commun, celui qui leur tient le plus à cœur : prendre en mains le destin de leurs territoires. Ainsi pourrons-nous, à partir de nos communautés locales, constituer une véritable communauté de destin entre les pêcheurs et les conchyliculteurs du monde.