« Le gouvernement écossais a annoncé récemment des plans pour doubler les surfaces des Aires Marines Protégées (AMP) dans ses eaux, prévoyant d’inclure 11 nouvelles AMP et 9 Zones Spéciales de Conservation. On peut sans doute considérer que quelques organisations conservationnistes ont applaudi à l’annonce de ces mesures tout en poussant à obtenir davantage de décisions en ce sens. Il est de même envisageable de prédire que les organisations de pêcheurs, telles que la Scottish Fishermens’ Federation (SFF), vont accuser le ministre écossais de la pêche de prendre des décisions irrationnelles et dommageables.
La SFF représente les pêcheurs côtiers des communautés rurales de la côte Ouest qui sont particulièrement touchés par l’exclusion des zones de pêche qu’ils occupent depuis des générations. Ces communautés de pêcheurs, principaux employeurs dans certaines régions, sont déjà confrontées à l’interdiction des rejets, qui interdira de rejeter les prises indésirables dans la mer, ainsi qu’à toute une série de réglementations complexes qui contrôlent ce qu’ils peuvent pêcher, à quel moment et où. L’un des plus grands défis auxquels ils doivent maintenant faire face, c’est que les stocks se renouvellent en force et qu’il est difficile de jeter un filet à la mer sans attraper de poisson.
Les partisans des AMP font croire qu’elles sont la seule solution aux défis auxquels les océans sont confrontés. Ils suggèrent qu’elles sont faciles à mettre en place, évidentes, sans qu’il faille en faire la preuve et qu’elles amélioreront l’état de nos pêcheries (Hilborn, 2014). Elles semblent une solution évidente et il n’y a aucun doute que l’exclusion des pêcheurs de ces zones protégera les habitats vulnérables des fonds marins comme les bancs de maerl et les récifs coralliens de certains types de pêche. Cependant, dans la plupart des zones de pêche autour du Royaume-Uni, les fonds sont constitués de sédiments mous. Il y a peu de preuves sur l’impact du chalut sur ces habitats et sur le fait que son interdiction améliore les stocks de poisson. En fait, pour certaines espèces comme les langoustines, un chalutage répété semble améliorer les stocks (Ungfors et al., 2013).
Des études récentes en Australie – pays où la réglementation pour la protection des océans est l’une des plus strictes au monde – montrent que lorsque l’on réduit les zones accessibles aux pêcheurs, ils attrapent moins de poissons et ce, proportionnellement aux surfaces dont ils sont exclus (Kearney & Farebrother, 2014). Les gens qui vivent de la pêche en viennent à se considérer eux-mêmes comme des réfugiés de la conservation, marginalisés par une société qui, tout en appréciant les fruits de leur labeur, les voit comme des tricheurs et des menteurs, se servant sans rien payer en retour. Dans un livre sur la pêche, on résume ainsi l’attitude à l’égard des pêcheurs : « Le plus grand doute qu’on puisse émettre sur les miracles bibliques vient du fait que la plupart des témoins étaient des pêcheurs ‘. La vérité c’est que les pêcheurs sont des entrepreneurs qui essaient de gagner leur vie, avec des familles et des communautés à charge, et une culture aussi différente du reste de la société que celle des bohémiens.
La société semble apprécier les produits de l’agriculture alors qu’on pratique la monoculture, que l’on détruit la biodiversité, que l’on élève des animaux dans des conditions parfois discutables et que l’on arrose abondamment l’activité de subventions, au nom de la sécurité alimentaire. Au contraire, les pêcheurs dépendent d’écosystèmes de qualité pour gagner leur vie et capturer du poisson sauvage, produit de la nature. Ils sont victimes d’une version moderne des expulsions appelée « Accaparement des océans ‘. Dans la pêche, il y a une tendance à les marginaliser encore plus, en les obligeant à quitter les zones où ils ont pêché pendant des générations, qu’il y ait ou non de bonnes raisons pour le faire. C’est un abus du principe de précaution, s’il y en a jamais eu un (c’est-à -dire l’idée que l’on devrait éviter de faire quoi que ce soit qui pourrait nuire à l’environnement). Une juste application de ce principe serait d’éviter de changer les méthodes de gestion avant d’avoir fait la preuve que ces changements seraient profitables » et non simplement ce que les organisations conservationnistes veulent entendre.
Il est évident que la pêche implique que l’on sorte des poissons de la mer, cela a nécessairement un impact sur leurs populations et leurs habitats. Il faut un équilibre entre les quantités prélevées et le stock nécessaire pour assurer le repeuplement et les captures de l’année suivante. Si, comme l’Australie, nous protégeons trop nos océans, nous exporterons notre impact environnemental vers d’autres pays qui ont une gestion moins rigoureuse. Cela augmentera les distances pour la nourriture et notre dépendance alimentaire, comme dans le cas du saumon d’élevage et de la viande dont la production est potentiellement plus dommageable à l’environnement (Kearney & Farebrother, 2014).
Au niveau mondial, le développement des AMP peut ne rien avoir à faire, ou très peu, avec l’idée de conservation. Dans le cas de l’archipel des Chagos, dans l’Océan Indien, l’AMP est utilisée illégalement comme bouclier par le gouvernement du Royaume-Uni pour justifier l’exclusion des Chagossiens de leurs îles, devenues une base navale et aérienne des Etats-Unis (Dunne et al., 2014). Les Mauriciens pêchaient traditionnellement dans les eaux autour des Chagos ; aujourd’hui seuls les yachts des riches peuvent y naviguer. Sur les côtes de Californie, les AMP ont reçu une aide financière des compagnies pétrolières (266 millions $ sur 10 ans) ou ont été contestées par ces compagnies, en fonction des intérêts des entreprises. Certaines AMP établies dans cette région n’ont pas respecté les droits des populations indigènes de pêcher et de faire la cueillette pour leur nourriture, mais ont autorisé l’aquaculture industrielle, l’exploration et l’exploitation du pétrole, la pollution et la fracturation. Aux Seychelles, des AMP financées par l’étranger ont été développées, excluant les pêcheurs locaux des zones exploitées traditionnellement, alors que les stocks de thons peuvent y être pêchés par des flottes étrangères grâce à des droits de pêche financés par l’Union Européenne.
Je ne suis pas opposé à la conservation et, tout en travaillant avec les pêcheurs en essayant de leur apporter du soutien, je ne suis pas leur laquais. Tout simplement, je me sens très mal à l’aise avec la conception dominante de la conservation qui tend à exclure des gens qui ont travaillé pendant des générations. Je ressens cette gêne plus particulièrement lorsque d’autres formes d’usages tels que l’industrie pétrolière, les champs éoliens et la pollution, semblent être moins touchés ou sont suffisamment puissants financièrement pour poursuivre leurs objectifs. Moralement, la mer appartient aux pêcheurs, de même que la terre appartient aux paysans établis depuis longtemps, et tout ce qui devrait être réalisé devrait l’être en partenariat avec les pêcheurs. A mon avis, la solution passe par eux et on devrait les encourager (ou même les forcer) à prendre des responsabilités. Je n’aime pas non plus cette statistique souvent répétée que « seuls 4%, 5%, 10% des océans sont protégés ‘. Désormais, toute la surface des océans dépend d’une forme quelconque de législation. La mer du Nord est régie par une trame complexe de règlements de pêche dont l’effet est positif, si l’on considère que la restauration récente des quantités de poissons en est la conséquence.
Nous devons réfléchir aux conséquences importantes que peuvent avoir des actions supposées minimes. Si on interdit la pêche dans une zone donnée, il faut se poser la question de savoir si la source de nourriture alternative n’est pas plus dommageable ? Est-ce que davantage de conservation ici signifie moins de conservation là -bas ? Lorsqu’on crée une aire marine « protégée ‘ y a-t-il plus d’impacts sur des aires « non protégées ‘ ?
Nous vivons dans l’Anthropocéan, et de mon point de vue, nous devons l’accepter, et utiliser toute notre ingéniosité pour réserver une place à la nature en même temps qu’à l’être humain, et ne pas considérer comme une bonne chose l’exclusion des populations de l’accès aux ressources et à leurs moyens d’existence. »
Juillet 2015 – Article de Dr Magnus Johnson, he is a Senior Lecturer in Environmental Marine Biology at the University of Hull. Traduction : Danièle Le Sann