L’Union des Communautés de Prud’hommes Pêcheurs de Méditerranée, associant les Prud’homies méditerranéennes de pêcheurs ont écrit au Commissaire enquêteur. Ils demandent à préserver la richesse méditerranéenne et la qualité nutritive des produits de la mer en interdisant les rejets industriels d’Altéo Gardanne et en obligeant l’industriel à fixer le substrat sur les fonds pollués :
« Monsieur le Commissaire enquêteur,
Depuis 50 ans, l’usine d’alumine de Gardanne a déversé 32 millions de tonnes de boues chargées en métaux lourds, soude et radioactivité dans le parc national des Calanques, près de Marseille, soit 20 tonnes d’arsenic, près de deux millions de tonnes de titane, soixante mille tonnes de chrome… qui remontent en surface et se déplacent par l’action des vents (upwelling) et des courants. C’est encore 670 km² de « panache » observé du ciel, entre Fos et Toulon1.
Aujourd’hui, les responsables de cette usine demande à déverser dans le parc national des Calanques, pendant les 30 prochaines années, les eaux résiduaires (des boues compressées) dont certains composants dépassent les normes autorisées (PH, matières en suspension, aluminium, fer, arsenic).
Veuillez trouver, ci-après, dans le cadre de l’enquête publique ouverte jusqu’au 25 septembre 2015, les observations de notre Union des prud’homies de pêcheurs de Méditerranée.
Depuis des siècles, les prud’hommes pêcheurs de Méditerranée française gèrent leurs zones et se réglementent volontairement pour préserver la richesse marine qui permet de nourrir une partie de la population locale et de faire vivre les communautés de pêcheurs.
Cette gestion des usages à propos d’un bien commun est d’autant plus nécessaire que, hormis quelques exceptions, la côte méditerranéenne est rocheuse avec un plateau continental étroit, les stocks de poissons y sont relativement peu abondants et les zones de pêche exiguês. Avec la création du Parc national des Calanques au sein duquel s’effectuent les rejets industriels, les pêcheurs se sont vus imposer une grande réserve en zone profonde sur l’un de leurs rares sites de pêche. Ils savent pertinemment que les espèces capturées sur ce site ne sont pas inféodées à la zone et que cette réserve n’aura guère d’incidence sur la richesse marine mais aura pour effet de les contraindre encore plus. Cependant, la création du Parc doit permettre de stopper les rejets polluants
Avec le rejet des boues rouges, effectué depuis 50 ans dans la fosse de La Cassidaigne, les pêcheurs ont pu constater que ces boues remontaient sur le plateau continental, à des profondeurs de 100 m et moins, engluant leurs engins et faisant disparaître peu à peu la faune marine. Ils craignent qu’une fois les rejets arrêtés, la vie ne se redéveloppe sur la zone devenue inerte et que les métaux lourds accumulés ne rentrent dans la chaîne alimentaire, dénaturant la qualité des poissons et perturbant, pendant plusieurs décennies, les cycles de croissance et de reproduction des espèces marines.
Les pêcheurs savent que la diffusion en mer est incomparable avec ce qui existe sur terre, un solide mettant une année à faire le tour du bassin méditerranéen. Aujourd’hui, il faudrait autoriser le rejet d’eaux chargées en métaux lourds et radioactivité, sachant que certains composants ont des taux bien supérieurs à ce qui est admissible, et que ces eaux se diffuseront beaucoup plus largement encore que les boues rouges. Ces rejets industriels ne sont pas un épiphénomène local mais concerne donc l’ensemble du bassin méditerranéen. Est-ce que l’ensemble des régions méditerranéennes qui seront touchées par cette pollution seront d’accord avec une telle autorisation ? A quoi servent les normes et mesures telles que celles décidées par la Convention de Barcelone, si ce n’est à préciser les usages de chacun au bénéfice de la collectivité ?
Nous attirons votre attention, Monsieur le Commissaire enquêteur, sur le fait que nos mers et nos océans ne sont pas un réceptacle pour nos déchets industriels mais notre « 6ème continent ‘ qui nourrit déjà une bonne part de notre population et dont le rôle nutritionnel ne fera que s’accroître, aux dires des spécialistes, dans les années à venir. Il n’est plus temps de déverser nos décharges dans des profondeurs qui semblent obscures aux profanes, mais de préserver la qualité du plancton et de la chaîne alimentaire marine.
Si pour sauver quelques emplois aujourd’hui dans l’industrie, notre gouvernement venait à prendre une telle décision, il condamnerait en premier lieu les communautés de pêcheurs et leurs apports en produits nutritifs et réputés, puis le secteur touristique et résidentiel de nos régions littorales lié à l’image environnementale et aux loisirs ; enfin, les particules et les espèces marines se déplaçant, il contribuerait à polluer sensiblement notre bassin méditerranéen.
C’est pourquoi nous vous demandons, instamment, nous, les pêcheurs, directement concernés par la qualité de l’eau, nous, les prud’hommes, rodés par le legs de nos ancêtres à prendre des mesures de précaution pour préserver notre avenir et ceux de nos enfants, à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour, d’une part, faire interdire ces rejets polluants, d’autre part, contraindre l’industriel à fixer le substrat sur les fonds perturbés afin d’éviter que les métaux lourds ne pénètrent dans la chaîne alimentaire marine. »
Lettre adressée, par courrier postal, au Président de la Commission d’enquête pour les demandes d’Altéo Gardanne et Aluminium Péchiney, Mairie de Gardanne, Services techniques, Résidence St Roch, 1 av de Nice, 13120 Gardanne, France.
Lettre adressée également par Christian Décugis, Prud’homme de Saint-Raphaêl, Président de l’APAM (association pour le maintien d’une pêche artisanale et des activités maritimes durables), Président Medartnet, réseau européen, méditerranéen des pêcheurs artisans représentant à ce jour plus de 1000 membres autour de la Méditerranée.
Pour préserver la richesse marine de la Méditerranée et en soutien aux communautés de pêcheurs artisans, vous pouvez, vous aussi, adresser ce courrier au Commissaire enquêteur en précisant votre nom et votre adresse.