Article courrier international du 22 février 2007
Un article qui permet de comprendre ce qui se passe aujourd’hui avec les réserves marines…
« … Au fin fond du sud-ouest de l’Ouganda (…), pendant des milliers d’années, les Twas ont vécu en harmonie avec la forêt (…). Dans les années 1930, venus du monde entier, des écologistes spécialisés dans la conservation (ou conservationnistes) réussirent à convaincre les responsables ougandais que cette zone était menacée par l’exploitation forestière et minière. Il fut donc décidé de créer trois réserves forestières » Mgahinga, Echuya et Bwindi. Toutes trois recouvraient en partie le territoire ancestral des Twas. Pendant soixante ans, ces réserves naturelles, définies seulement sur le papier, furent à l’abri des exploitants. Mais elles sont devenues officiellement parcs nationaux en 1991, et le Programme mondial pour l’environnement (Global Environment Facility, GEF) de la Banque mondiale a financé une bureaucratie pour les gérer… Les conservationnistes occidentaux, convaincus de l’incompatibilité entre préservation de la nature et communautés humaines, ont exercé une telle pression que les Twas ont fini par être expulsés de leurs terres ancestrales. Ils vivent maintenant en périphérie des parcs, dans des camps improvisés, sans sanitaires ni eau courante. Encore une génération soumise à ce traitement, et leur culture, fondée sur la forêt » chants, rituels, traditions et légendes « , aura totalement disparu.
Ce n’est un secret pour personne : dans le monde, des millions d’autochtones ont été chassés de leurs terres pour laisser la place aux géants du pétrole, du métal, du bois et de l’agriculture. Mais peu de gens savent que la même chose se passe au nom d’une cause bien plus noble : la protection de l’environnement. Des chefs de tribu de presque tous les continents ont établi une liste des organisations responsables de la destruction de leurs cultures. Parmi celles-ci figurent non seulement Shell, Texaco, Freeport et Bechtel, mais également des noms bien plus surprenants, tels que les ONG Conservation International (CI), The Nature Conservancy (TNC), World Wildlife Fund (WWF) et Wildlife Conservation Society (WCS). Il est même possible que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), pourtant plus sensible aux problèmes liés à la culture autochtone, y figure. “Nous sommes désormais des ennemis de la conservationâ€, a déclaré le chef massaï Martin Saning’o… En fait, “au début, les conservateurs de la nature, c’était nous 
Les réfugiés de la conservation sont soustraits à leurs terres contre leur gré, soit par la force, soit par toute une gamme de mesures moins coercitives… Ainsi la délocalisation bénéficie-t-elle généralement de l’aval tacite ou de la négligence complaisante de l’une des cinq grandes ONG internationales » les BINGO (big international non-governmental conservation organizations), comme les ont surnommées les chefs des peuples autochtones…
En 1962, on répertoriait un millier de zones protégées dans le monde. Ce nombre est passé à plus de 108 000, et chaque jour il en apparaît de nouvelles… Au Mexique, le déplacement imminent de plusieurs communautés mayas de la région forestière des monts Azules, dans le Chiapas, découle d’un processus lancé vers le milieu des années 1970 afin de protéger la forêt vierge tropicale. Ces déplacements portent en eux le germe d’une guerre civile. L’organisation Conservation International est au cœur de cette controverse, tout comme un grand nombre d’industriels.
Les populations tribales, qui réfléchissent en termes de générations plutôt qu’en termes de semaines, de mois ou d’années, attendent toujours qu’on leur accorde la considération qu’on leur a promise. Bien sà’r, le trophée le plus convoité est le projet de déclaration de l’ONU, qu’un très grand nombre de nations doit ratifier. Pour l’instant, cette déclaration n’a pas pu passer, principalement parce que des chefs d’état puissants tels que Tony Blair et George Bush menacent d’y opposer leur veto. Pour eux, la notion de droits humains collectifs n’existe pas et ne devrait jamais exister…
Plus de 14 millions de réfugiés de la conservation en Afrique
… Dans presque tous les cas, les peuples autochtones sont plongés dans l’économie monétaire sans avoir les moyens d’y participer réellement. On les cantonne dans les emplois de gardes forestiers (sans grade), de serveurs ou de moissonneurs, ou, s’ils réussissent à apprendre une langue européenne, de guides écotouristiques. Dès lors, il n’est pas surprenant que les populations tribales considèrent les conservationnistes comme de nouveaux colonisateurs, comme une simple extension des forces au service de l’hégémonie économique et culturelle mondiale…
Sur tous les continents, il existe déjà des modèles de travail positifs mis en place dans des zones de protection socialement sensibles, en particulier en Australie, en Bolivie, au Népal et au Canada. Dans ces pays, les lois nationales protègent les droits des autochtones. Les conservationnistes étrangers n’ont d’autre choix que de s’allier à ces communautés pour trouver des façons créatives de protéger les biotopes et de soutenir la biodiversité, tout en permettant aux indigènes de mener une vie florissante sur leurs propres territoires. Dans la plupart des cas, ce sont justement ces mêmes populations qui sont à l’initiative de la création d’une réserve » plus communément appelée “zone indigène protégée†(indigenous protected area, IPA) ou “zone de protection de communauté†(community conservation area, CCA). Les IPA sont une invention des Aborigènes, dont beaucoup ont recouvré leurs droits de propriété, ainsi que l’autonomie territoriale grâce à de nouveaux traités. Les CCA naissent un peu partout dans le monde, depuis les bords du Mékong, avec leurs villages de pêcheurs laos, jusqu’à la forêt de Mataven, en Colombie, où 6 tribus peuplent 152 villages autour d’une réserve écologiquement intacte couvrant plus de 1,6 million d’hectares. Très souvent, une fois la CCA créée et les droits territoriaux établis, la communauté invite une BINGO à lui envoyer ses écologistes et ses biologistes pour partager la tâche : il s’agit de protéger la biodiversité en associant la méthodologie scientifique occidentale aux connaissances écologiques locales.
90 % de la biodiversité se trouvent hors des zones protégées
… La convoitise effrénée des grands groupes pour l’énergie, le bois, les médicaments et les métaux représente toujours un danger considérable pour les communautés autochtones, un danger sà’rement plus important que la conservation. Mais les frontières entre ces deux menaces s’estompent de plus en plus. L’un des points les plus problématiques est que les organisations de conservation internationales travaillent très facilement avec certaines des structures d’exploitation de ressources les plus agressives… Bien évidemment, si les BINGO renonçaient à ces partenariats, elles devraient aussi dire adieu à des millions de dollars de financements, ainsi qu’à une partie de leur influence internationale…
… En Afrique, là où ont été créés tant de parcs et de réserves et où les évictions sont les plus nombreuses, 90 % de la biodiversité se trouve en dehors des zones protégées. Si nous voulons préserver la biodiversité en des lieux déjà occupés par des peuples au mode de vie “écologiquement durableâ€, l’erreur la plus stupide que nous puissions commettre serait de les mettre dehors. C’est une leçon que l’Histoire est en train de nous enseigner.