Incompréhension :
En septembre dernier, la mer regorgeait de thons. De mémoire de pêcheur, je n’en avais jamais vu autant ; si on laisse faire, d’ici 4 à 5 ans, ils arriveront au bord des côtes comme du temps des madragues.
Fin avril, début mai, ils étaient même dans les plages, dans la baie des Sablettes. Il parait qu’on les voyait aussi du sémaphore de Villefranche. Ils n’avaient jamais vu autant de poissons sous leurs pieds !
Au printemps, dans la baie de Sanary, ils étaient en-dedans du Rouveau (petite île qui ferme la rade). En juillet, on a bien pêché ; en aoà’t, nous avons eu du mauvais temps, et en septembre, il n’y avait plus de quotas. Le marché local était demandeur et on avait l’interdiction de le pêcher car notre quota était atteint ‘.
NB : Le quota global pour les pêcheurs artisans de Méditerranée française est de 98 tonnes pour 80 bateaux (160 familles environ)
Injustice :
En un coup de senne, un grand senneur peut prendre plus de trois fois les captures de toute notre flottille de pêcheurs artisans (soit 300 t). Nous, en France, on nous a interdit la thonaille alors que les italiens, à 5 km de la frontière, continuent à pêcher au filet dérivant. D’un côté d’une ligne imaginaire, on voit des filets neufs sur le quai, et de l’autre côté des filets brà’lés…
Sur les côtes d’Afrique du Nord, les thons sont pêchés sans quotas, sans taille minimale et sans contrôle. C’est pourtant la même espèce qui navigue. Faute de thonaille, nous avons du nous reconvertir à la canne ou à la palangre. à‡a représente une diminution des captures et du chiffre d’affaire de 50 à 80%. Contrairement à d’autres pays ou régions, nous n’avons bénéficié d’aucune aide pour nous reconvertir. Seuls les bateaux qui partaient à la casse ont été indemnisés.
Si nous détenons aujourd’hui un permis de pêche pour le thon, ce n’est pas le cas de certains petits métiers côtiers qui pratiquaient la canne, ou la ligne au broumé, depuis longtemps. Aujourd’hui, tous ces petits métiers côtiers sont interdits de prises accidentelles (thon et bientôt espadon) capturées avec l’escombrière (filet à palamides) ou autres…
Incohérence :
La limite des tailles minimales à 30 kgs dans une région où ne naviguent pas les poissons de grande taille n’a pas de sens. Dans le même temps, les frayères sont surpêchées alors que de mémoire de prud’homme la protection d’une espèce à risque cible d’abord les zones et les périodes de frai.
Les zones de frai étaient à interdire en premier. La réglementation a été faite pour le marché japonais ni plus, ni moins. Les thons les plus chers sont les géniteurs qui ont la chair la plus grasse, juste avant le frai.
Des petits, y en a en pagaille. Ils sont pris avec un rapalo (leurre ou faux maquereau) mais on ne voit pas la taille. On est obligé de les remonter à bord. Mieux vaudrait fixer une taille minimale de 10 kg ou 15 kg pour éviter de rejeter du poisson mort. En moyenne, dans notre région, le poisson fait entre 15 et 20 kg, les plus de 30 kg représentent peut-être 2 à 3% des captures.
Le quota qui nous est attribué n’est pas en rapport avec la rentabilité des bateaux. Il faudrait un quota de 10 tonnes par bateau pour être rentable sur 3 à 4 mois de pêche (bateau de moins de 12 m avec 2 ou 3 personnes). De toutes les façons, en pêchant à la traîne avec 8 cannes, on n’a que 2 bras, on ne prend en moyenne qu’une vingtaine de poissons par sortie (aux extrêmes, cela peut aller de 3 à 30 poissons par sortie).
Risque environnemental :
Avec les lobbies environnementalistes et la politique des pêches qui se fixent sur une espèce plutôt que sur le territoire dans son ensemble, la gestion devient dangereuse. La démesure des moyens techniques et financiers pour la capture industrielle du thon rouge ne doit pas s’étendre aux autres espèces ou au littoral. Que ces armements se reportent sur une flottille de petits bateaux (sennes ou autres) qui cibleront les espèces littorales est le plus grand danger environnemental, social et économique. Avec de grands armements, l’on n’est plus dans une pêche artisanale mesurée qui concilie, dans le temps, l’activité d’une communauté de pêcheurs avec les richesses de son territoire. Compte tenu de la dimension des armements et de la taille des bateaux dévolus au thon rouge, s’ils doivent rester dans la pêche, mieux vaut qu’il reste sur une espèce en bout de chaîne alimentaire.
Si ces bateaux doivent rester dans la pêche au thon, il faudrait revenir à la réglementation de 1980 et aux limitations prud’homales : des bateaux de moins de 25 m qui partent à la journée et dont les captures correspondent à une réalité environnementale.
Revenir aux fondamentaux :
Le poisson, c’est une nourriture et non une marchandise qui va à l’autre bout de la planète. Aujourd’hui, on nous dit qu’il faut rejeter des poissons morts, rejeter de la nourriture à la mer… Ce n’est pas ce que nous ont appris les générations d’avant.
On construit des bateaux toujours plus gros – y a qu’à voir les articles dans le dernier Marin – pour aller piller les zones des pays du sud. On exporte nos thons et on importe des cochonneries (saumons d’élevage aux pesticides par exemple). Il vaut mieux vendre et consommer localement nos produits de bonne qualité.
Entretien avec Didier Ranc, Prud’homme de La Seyne sur mer et Jean-Michel Céi, Prud’homme de Sanary sur mer
Voir aussi :
– Thon rouge, espadon, dorade rose : pour une réglementation qui colle au terrain
– De la thonaille à la canne : bllan négatif pour les pêcheurs artisans et l’environnement