Gestion prud’homale et biodiversité
Voilà plusieurs décennies que la gestion prud’homale rame à contre-courant. Alors qu’elle encourage la polyvalence d’une petite pêche artisanale, les apports débarqués sont jugés bien « mièvres ‘ aux côtés d’une capture de masse par les flottilles chalutières et thonières. La diversité des techniques et la complexité des règlements paraissent désuètes aux côtés des pêches artisanales intensives et de leurs gestions spécifiques (licences et quotas). Le bref exposé d’un scientifique spécialisé en écologie marine, Patrice Francour, opère un complet revirement de situation et d’analyse :
A l’échelle de l’hémisphère nord, on a des gradients de diversité des espèces (poissons, mollusques, grands crustacés) qui diminuent progressivement lorsque l’on remonte des zones relativement chaudes (tropicales ou subtropicales) vers l’Arctique. En Méditerranée, on a déjà , relativement à l’Atlantique, une plus grande diversité, un peuplement beaucoup plus riche qui se traduit aussi au niveau des habitats. C’est particulièrement vrai sur les côtes rocheuses qui s’étendent sur l’ensemble du littoral ; le Golfe du Lion qui est une zone plus sableuse faisant exception. Que les poissons vivent en pleine eau, sur le fond ou à proximité du fond, on ne peut pas en parler sans parler de leur habitat. En termes de survie ou de développement d’une espèce, d’un stock, il faut 2 conditions sine qua none : la disponibilité en habitats et la disponibilité en ressource alimentaire.
– Une pêche polyvalente : le meilleur garant de la diversité
Sans faire un cours d’écologie, on démontre que dans un milieu naturel, lorsqu’il y a une « prédation ‘ raisonnée sur de nombreuses proies, le milieu est plus riche que lorsque l’on a un prélèvement aveugle sur un type d’espèces. C’est le cas des petits métiers polyvalents qui permettent le maintien d’une population diversifiée.
– Une gestion par zone géographique et fondée sur la diversité
Le type de gestion développé à l’échelle d’un bassin méditerranéen – si l’on enlève le Golfe du Lion qui est une particularité » doit être basé sur cette diversité d’habitats, et de peuplements plus ou moins saisonniers. Les modèles de gestion imaginés actuellement par l’Europe, et conçus sur des milieux beaucoup plus homogènes (diversité plus faible des stocks), ne peuvent s’appliquer ici. Les gestions de pêche ancestrales par les Prud’homies ont fonctionné de tous temps et sont les plus adaptées dans la mesure où elles se fondent sur la diversité des habitats11, des espèces et des métiers.
– Des indicateurs attestant de la richesse des peuplements suffisent à valider la gestion
A partir du moment, où l’on a un système d’exploitation qui prélève mais que le milieu reste diversifié, c’est que l’on a un parfait équilibre. Le Parc national de Port-Cros est l’un des milieux de Méditerranée Nord-occidentale les plus riches – en termes de diversité, d’abondance, de taille de poissons – et pourtant la pêche professionnelle y est exercée régulièrement.
Donc tous les indicateurs, qui montrent que la diversité en espèces est maintenue et que des individus de grande taille sont présents, sont à -même de montrer que le peuplement est en bonne santé. Dans ce cas, la gestion qui est faite ne met pas en péril la ressource.
Une gestion territoriale à l’œuvre : actions juridiques, concertations, expériences de co-gestion
– Palavas : Des actions juridiques pour faire appliquer la Loi littoral sont menées par une Association, en lien avec la gestion prud’homale. Par ce biais, en 10 ans, une quarantaine d’hectares classés en zone urbanisable, a été affectée en zone naturelle. Mais depuis 13 ans, l’Association et ses administrateurs se débattent, à titre
collectif et individuel, contre la Mairie qui les a assignés pour « abus d’ester en justice ‘. La Cour d’appel de Montpellier nous a donné raison (26/03/2008) mais la Mairie s’acharne avec un pourvoi en cassation
– Réhabilitation de l’Etang de Berre : 20 ans de combat juridique pour contraindre EDF à réduire ses rejets d’eau douce et obliger l’Etat à réhabiliter l’Etang. Aujourd’hui, c’est fait. Dans le cadre du contrat Etang, les pêcheurs participeront activement au ramassage des algues qui envahissent l’étang depuis qu’il se salinise
– Prud’homies : chaque Prud’homie, par le biais des règlements prud’homaux, a des zones de protection temporaires, notamment pour le frai ou la reproduction (rascasse, rouget) Concernant un cantonnement permanent, la Prud’homie doit avoir suffisamment de place pour geler une parcelle. A La Seyne – St Mandrier, ce n’est pas possible, on est encerclé par la rade de Toulon, les zones militaires La gestion concertée de l’espace devient une activité importante pour essayer de partager l’espace et le temps pour les différents acteurs de la mer, sur des zones enviées par tout le monde : sites de plongée avec des mouillages organisés pendant les 6 mois de l’été. On les déménage ensuite pour laisser la place aux pêcheurs. Nous sommes devenus les interlocuteurs privilégiés des Communes, des Conseils Généraux et Régionaux dès qu’on touche à la gestion de la mer, particulièrement dans les zones côtières
– Cantonnement du Cap Roux: Créé en 2003 à l’initiative de la Prud’homie de St Raphaêl, c’est la plus grande réserve marine intégrale de France continentale avec 400 ha. L’effet réserve (poissons plus gros et densité supérieure) existe et a commencé à se répandre aux alentours après seulement 3 ans d’interdiction ‘.
– Parc national de Port-Cros (créé en 1963 avec 1300 ha en mer) : La seule pêche professionnelle est autorisée et réglementée par une Charte. Les études montrent que la biodiversité de Port-Cros ne semble pas du tout menacée par cette pêche. On a une qualité des sites exceptionnelle. En l’état de nos connaissances actuelles, il n’y a pas d’interaction négative entre la pêche artisanale – issue d’une culture prud’homale qui est à la base des règlements de la Charte – et la protection de notre environnement marin. Ces données confirment l’intérêt que l’on a à travailler avec les pêcheurs ‘
– Parc Marin de la Côte Bleue : Résultat d’un travail étroit avec les pêcheurs dès les débuts en 1983, ce parc comprend aujourd’hui 2 réserves (210 et 87 ha) et 17 km d’alignement de récifs et obstacles au chalutage dont l’efficacité est démontrée : effets réserve, exportation de biomasse marine hors des réserve, baisse du chalutage en zone interdite, suivi du peuplement d’oursins en lien avec les pêcheurs, sensibilisation des enfants à la vie littorale et à la culture halieutique, gestion en projet de la zone Natura 2000 avec l’implication des pêcheurs
– Plans de gestion, sites Natura 2000, commissions nautiques locales : Natura 2000 est l’un des moyens (non le seul) de formaliser la rencontre entre tous les acteurs du territoire. Le pêcheur est l’être humain qui va le plus en mer, celui qui connaît le mieux la mer. Le pêcheur est un conseiller fondamental. Pour le site Natura 2000 de Porquerolles, nous avons réuni tous les membres et validé dans une commission nautique locale les propositions dont certaines se sont traduites par un arrêté de région. La pêche de loisirs est maintenant soumise à déclaration, avec déclaration de captures, au même titre que les pêcheurs professionnels. La chasse sous-marine est aussi réglementée.
– Pétardements de la Marine : Je ne comprends pas que l’on fasse péter de la dynamite à côté du Parc National, du sanctuaire Pélagos, d’un site Natura 2000 On stérilise un périmètre maritime au détriment des pêcheurs Nous, on travaille sur un guide de bonnes pratiques dans lequel on se donne des règles et d’un autre côté l’on est témoin, quasi quotidiennement, de pétardements Dans cette zone, il y avait des milliards d’alevins de petits rougets qui engendraient les saisons à venir. Les géniteurs qui ne sont pas morts fuient la zone. Depuis que l’on proteste, la charge maximale est passée de 600 kg à 110 kg. On a gagné 490 kg mais on n’a pas gagné la bataille
Ici et là , la force d’une gestion collective des ressources
– La première mission prud’homale est de créer des conditions optimales de pêche aux petits métiers, et donc de gérer la concurrence (roulement, tirage au sort des postes de pêche, arbitrage des conflits), tout en gérant la ressource. Nos atouts : une forte réactivité – une réunion de pêcheurs en prud’homie suffit pour définir l’action à mener, ou édicter un nouveau règlement – et une base consensuelle à laquelle tout le monde se plie, même les un ou deux récalcitrants
– Pour le chalut-langoustine dans le golfe de Gascogne, on a mis en place plusieurs engins sélectifs pour essayer de ne pas pêcher la petite langoustine et aussi le petit merluchon. La « maille carrée ‘ vient d’une expérience que j’avais tentée pour prendre plus de langoustines et moins de petits poissons. Quand le Commissaire européen a voulu imposer un chalut sélectif qui ressemblait plus à un filet pour attraper des mouches que des poissons (!), l’on a mis en place une licence nationale de langoustines et la pratique de la maille carrée est devenue obligatoire dans le Golfe de Gascogne. On a réduit la ponction des petits merlus de 30 à 40ù, ce qui fait des millions de poissons en plus dans l’eau chaque année. Pour la petite langoustine – difficile à sélectionner du fait de sa morphologie – on arrive à 25 à 30% de petites langoustines en moins sur le pont, d’où notre fameux slogan : « Il vaut mieux trier sur le fond que sur le pont ‘.
A propos des techniques et de leurs milieux : L’on remarquera que les grands arts trainants ont été « intuitivement ‘ interdits par les Prud’homies sur les fonds rocheux, probablement pour leur impact sur les habitats. Si un chalut passe sur un fond coralligène, structurellement complexe et physiquement peu résistant (du fait de sa constitution), il érode en partie sa structure tri-dimensionnelle. S’il passe sur un fond plat, avec aucune structure dressée, il ne « casse » rien
– En face de mon bureau, au Guilvinec, il y a 500 km de plateau continental, cap à l’ouest (jusqu’à 200m de profondeur).
– En Méditerranée, on n’a malheureusement pas 500 km de plateau continental. Chez moi, il faut marcher 5 mn avec un pointu pour trouver des fonds de 500 m
Intégration dans l’Europe – Quels outils pour quelles flottes ?
– De dimension sectorielle, la pêche artisanale atlantique accède aux outils proposés : Ce qu’il y a de notable c’est que, petit à petit, s’est mise en place une plate-forme de négociation à l’échelle du Golfe de Gascogne Le Comité Consultatif Régional (CCR) du sud-ouest Atlantique est un bon outil pour répondre à la Commission sur ses projets, faire remonter des plans de gestion Concernant Natura 2000 en mer, le Comité local du Guilvinec se propose d’en être l’opérateur
– Dispersée sur le littoral méditerranéen, la petite pêche côtière pâtit d’une représentation héritée du productivisme et de visions multiples à grandes échelles : ici vous avez un empilement de structures sans articulations (prud’homies, comités des pêches, organisations de producteurs) et toujours pas de CCR Méditerranée qui fonctionne Dans le cadre général de la PCP en Méditerranée, tout ce qui est ressource est géré par la CGPM (commission générale des pêches maritimes) qui regroupe les états européens et non européens. Elle prend des recommandations que les Etats sont tenus d’appliquer Il faudrait faire estampiller la réglementation prud’homale -en prévoyant des mesures d’exemption ou de précaution. Par des plans de gestion conçus à une échelle plus large que la prud’homie, est-ce possible ?
L’avenir des pêcheurs se décide aujourd’hui très loin
des organisations prud’homales, des comités des pêches et des quais
En octobre 2008, à Bangkok, la société civile -pêcheurs et ONG- a demandé, en accord tacite avec la FAO, qu’une structure spécialisée soit constituée pour la pêche artisanale dans le cadre du Comité des pêches de la FAO (COFI). Cela veut dire que la pêche artisanale pourrait tout d’un coup disposer d’un staff, de moyens financiers, d’outilsafin de pourvoir étayer son point de vue. Voilà l’une des actions menées par le Collectif Pêche et Développement et qui n’est pas forcément très visible. Cela dit, pour les 5 à 10 ans à venir, si une telle structure se met en place, cela aura des répercussions ici-même. Le combat des pêcheurs est donc difficile car il faut, à la fois, gérer le quotidien et en même temps qu’ils aient un œil sur ce qui se passe fort loin Il serait temps que l’Europe et la France prennent en compte cette réalité de la pêche artisanale, et respecte les pêcheurs artisans qui ont la capacité de s’organiser, mettre du lien entre les territoires, et entre les ports et les territoires. Pour suivre toutes ces problématiques lointaines, les pêcheurs doivent s’organiser et se faire épauler par des ONG…
Soyez à l’écoute, Mesdames et Messieurs les Politiques de PACA et de Bretagne, les pêcheurs artisans sont une pièce essentielle de votre territoire et ils sont porteurs d’avenir, j’en suis certain.
Pour lire la retranscription des débats :
Pour lire le compte-rendu de René-Pierre Chever sur cette Journée, rédigé pour le Collectif Pêche et Développement, et paru dans le Bulletin trimestriel du Collectif