25 août, 5 heures du matin, 5° C : l’été ne fut pas bien long au Nouveau Brunswick, Province maritime du Canada.
Sur le Marie J., bateau de 43 pieds (13m11), 350 force (350 cv ou 261 KW) et 20 ans d’âge, Alcide, le père, et Stéphane son fils pêchent le homard depuis plusieurs générations. Ciel noir scintillant, mer hachée, parsemée de points lumineux. Le Détroit de Northumberland fait environ 12 milles de large à hauteur de Saint Edouard de Kent. Le bateau file sur la zone de pêche, à mi-chemin entre l’àŽle du Prince Edouard et la côte :
On est raide au milieu.
A bord, l’on se réfugie à l’abri du vent, dans le coin cabine. Le temps de s’équiper sérieusement – pulls, cirés, gants, capuche – et l’on tente d’échanger malgré les accents, les prononciations, les expressions, les termes de pêche : petits dessins, on change les phrases, l’écriture découvre les mots et leurs origines.
La capture du homard est très réglementée. Elle dure 10 semaines et 6 jours étagés tout au long de la côte : ici, c’est du 9 aoà’t au 10 octobre. De mi-mai à début juillet, c’est la saison du gaspareau (Alosa pseudoharengus) pris au filet fixe dans la rivière Miramichi, grosse comme un fleuve français.
Du 15 octobre jusqu’aux glaces, c’est la pêche de l’éperlan avec des pièges (assemblages de verveux). Certains pêcheurs, équipés de motoneige, scie mécanique et ouvrages continuent la pêche en hiver. Les autres bénéficient du chômage et profitent de ce temps pour préparer les cages, peinturer les bouées :
Les filets, les trap-net et box-net, mon père les broche à la main.
Les cages à homards sont montées avec du bois, du grillage, de la corde plombée, et lestées de ciment. Les bouées sont peintes aux couleurs de l’armement : les nôtres sont jaune citron traversées d’une bande noire.
Sur zone, alors que le jour se lève, commence un ballet surprenant. Au rythme des chansons acadiennes que le haut-parleur diffuse à fond, Alcide, le père, fonce sur les deux bouées droit devant, débraye, saisit l’une des bouées, passe la corde dans la poulie du treuil hydraulique qu’il enclenche. Le bateau tourne et vire autour de la cage qui remonte : un poids de 110/120 livres qu’il fait pivoter sur le plat-bord.
Alcide ouvre la cage, saisit les homards et crabes tandis que son fils Stéphane remplace la boête par de la fraîche : des morceaux faisandés de maquereaux, achetés à la conserverie et salés maison, du crabe frais, écrasé au fur et à mesure des prises par le broyeur sur le pont. Juste le temps de mesurer la taille de certaines bêtes, Alcide embraye, vire et reprend de la vitesse, Stéphane ferme la cage et recule vers l’arrière. Légère décélération : d’un geste du bras, loin de la corde entassée qui va bientôt se dévider à toute allure dans l’eau sombre et glacée, la cage est poussée à l’eau. Le bateau repart à fond jusqu’à la bouée suivante.
En mesure avec les banjos, les violons, les harmonicas et percussions, Stéphane prépare l’amorce pour la cage suivante, présente son dos aux vagues qui éclatent, saisit la cage à son tour, réarme en nourriture le compartiment du milieu. Qu’est-ce qui pousse les homards à s’engager sur les côtés, là d’où ils ne pourront plus sortir ?
Les sous-tailles (≤ 2 pouces ou 50,8 mm), les femelles grainées et celles de grande taille (≥ 114 mm) repartent à l’eau. Les contrôles en mer et à terre sont stricts. A la clé : cour de justice, amende, et report de la pêche d’un couple de jours ou d’une semaine après les autres :
On n’a pas l’choa avec les lois ; la pêche, ça diminue.
Des fois, la cage est prise, on la perd. On a trouvé des cages
de 1 an avec des gros homards de 6 kg qui avaient mangé
les p’tits.
– Pourquoi vous laissez les petits homards dans les cages ?
– Les grosses morues peuvent les manger le temps qu’ils regagnent le fond. Là , ils s’échappent des cages au fond. Il y a un passage pour les p’tits homards.
Calées en lignes du nord au sud, nos cages s’entrecroisent parfois avec celles des confrères. Elles sont facilement repérées sur le « plotter ‘ (traceur graphique). Au total, pas moins de 250 cages visitées et recalées en l’espace de 7 à 8 heures. Entre deux rangées, les pêcheurs soufflent un peu, le temps de boire, ôter un pull, et surtout finir de mesurer les homards et bloquer leurs redoutables pinces à l’aide d’une élastique :
La coopérative paie 25 cents de plus la livre quand il y a l’élastique, c’est pas une grosse affaire.
Des homards bleus ?
J’en ai pogné un une fois.
Il était de la couleur du pont. C’est rare.
On fait 12000 livres environ de homards dans la saison. Les prix sont
de 5,5 dollars canadiens la livre pour les petits et 6,5 dollars pour les gros.
11 heures : la température est belle à c’t’heure.
La pêche, j’aime ça ; fo qu’t’aime l’eau.