Nous sommes de plus en plus interpellés via internet sur notre citoyenneté : « Sauvez la planète en un clic », « Votez pour un seuil de signatures qui fera basculer nos politiques »… Il y a ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est souhaitable, ce qui est regrettable… partout, globalement, mondialement.
Les mesures simplistes et généralistes proposées collent rarement avec la richesse et la diversité des écosystèmes, et avec le lien étroit que l’homme entretient avec les écosystèmes qui l’environnent. Faudrait-il dire adieu aux veaux, vaches, cochons, moutons, chèvres, poulets de nos fermes avoisinantes comme aux thons rouges, pélamides, grandes castagnoles, crevettes et soupe d’herbiers de nos étals côtiers ?
C’est ainsi que la pêche artisanale méditerranéenne voit ses métiers – entendez ses engins, ses techniques, la culture et les hommes qui vont avec – être menacés les uns après les autres :
– thonaille ou filet dérivant à thons qui seraient susceptible de détruire dauphins, oiseaux, tortues même s’il n’y a pas d’oiseaux et de tortues qui se font prendre localement, même si les captures de dauphins restent exceptionnelles et négligeables pour une espèce pléthorique, même si l’accent porté sur ces artisans sert, parfois, à masquer l’impact d’autres techniques plus industrielles…
– interdiction étendue abusivement aux autres filets dérivants au cas où ils captureraient un thon rouge…
– petits arts trainants tels les ganguis (de petites dragues) qui sont sur la sellette avec, en toile de fond, « l’art trainant démolit les fonds » même, si toute échelle gardée, la drague en question n’a pas plus d’impact que le râteau du jardin et même si le métier exercé depuis plusieurs centaines d’années a pu attester de sa « durabilité »…
Un métier, c’est un patrimoine, un savoir-faire, une culture patiemment élaborés, c’est surtout ce qui permet aux pêcheurs artisans de passer l’hiver, de s’écarter des côtes en été, de diversifier les apports pour les clients, et de répartir l’effort de pêche sur les zones et les espèces en jouant sur la diversité d’action. Nul besoin d’imposer des quotas qui entraineront des rejets mais « inciter » seulement, par la réglementation technique des usages, à s’orienter vers la polyvalence. Les jeux de concurrence entre pêcheurs à propos des zones de pêche et du marché local régulent d’eux-mêmes la répartition de l’activité. Voilà toute la science des Prud’homies de pêche ! L’on remarquera que, dans cette philosophie, c’est en amont que se font les choix de production : vivre au quotidien avec la nature, au sein d’une communauté de pêcheurs, ou partir de calculs de rentabilité d’un outil de production ? Et c’est en amont que se font les choix de vie… C’est cette organisation que remet en cause l’interdiction d’un métier indépendamment du contexte dans lequel il s’applique.
Quels sont les ressorts qui nous font signer et adhérer « en bonne conscience » et « avec la meilleure volonté du monde » à des messages binaires ? C’est une question intéressante à se poser au cas par cas, qui renseigne sur nos modes de fonctionnement. Ci-après quelques repères :
– le refus du gaspillage (utilisé pour l’interdiction des rejets à la pêche).
Il eut mieux valu pêcher moins (par la limitation des usages) et pêcher mieux (par des techniques sélectives) plutôt que d’obliger les pêcheurs à rapporter à terre leurs rejets à des fins aquacoles (un élevage discutable car fondé sur des espèces » carnivores » nourris avec des poissons sauvages),
– la « responsabilisation » des acteurs par l’achat de « droits de pêche », ce qui revient à privatiser des ressources communes, bien collectif de notre planète. Si la privatisation des ressources, favorable aux grandes entreprises, engendrait nécessairement une saine et durable exploitation, on l’aurait déjà remarqué dans d’autres secteurs…
– la protection d’animaux avec lesquels l’homme entre en sympathie : plutôt des mammifères, des espèces de grande taille, à moins que ce ne soit des « nurseries », des « juvéniles »… Les scientifiques montrent, aujourd’hui, qu’un prélèvement sur l’ensemble des classes d’âge est, de loin, préférable à la protection systématique des juvéniles. Par ailleurs, certaines espèces surprotégées tendent à proliférer au détriment de l’équilibre du milieu…
– le recours aux « chiffres et pourcentages » avec l’idée de « seuils » comme « le rendement maximal par stock ». Comme si la nature était déjà – par le biais de stocks de poissons – directement quantifiable, rentabilisable, prête à l’exploitation… Cela rassure peut-être, cela isole, surtout, l’impact de la pêche des autres impacts (pollutions, changement et condition climatique…) et fait l’impasse sur l’interaction des stocks. Dans cette vision, les données insuffisantes (voire inexistantes) et les modèles simplifiés semblent avoir plus de sens que la perception directe des pêcheurs qui vivent en symbiose avec leur environnement,
– la « traçabilité » comme garante de la fiabilité et de la qualité des produits pour justifier les labels, les innovations technologiques (pins pour les poissons, puces électroniques pour les moutons et les chèvres…) et autres lobbies souvent favorables à l’industrie,
– l’idée (illusoire) de « nature vierge » au sein de réserves et de parcs où, loin de l’action de l’homme, faune et flore prospèrent. Cette idée est généralement associée à un pourcentage minimal de zones à protéger. (Cf. par exemple, l’absence de justification scientifique de la très grande réserve marine intégrale du parc des Calanques : l’interdiction de la palangre en zone profonde ne changera rien à la richesse du milieu, tout en pénalisant les pêcheurs)
– l’éloignement de tout ce qui rappelle la mort, et plus basiquement le fait que l’homme tue beaucoup d’animaux pour vivre, par consommation directe ou indirecte (quantité d’insectes et autres tués par le labourage, les moissons…). L’on oppose ainsi les activités de chasse et cueillette à celles d’élevage et d’agriculture qui seraient plus « évoluées ». C’est compter sans le nourrissage des poissons d’élevage par des farines de poissons sauvages, c’est ne pas tenir compte, non plus, des bilans énergétiques des différentes activités…
– notre nécessaire implication dans l’urgence pour préserver la marche du monde, qui justifie le fait de passer outre l’avis des acteurs directement concernés, l’organisation de réels débats…