Que l’environnement devienne une préoccupation majeure des politiques de développement ne signifie pas que les mesures environnementales puissent se passer d’une analyse fine des processus de développement incluant l’ensemble des facteurs économiques, sociaux ou culturels. A vouloir trop insister sur l’aspect vert et bleu de notre planète, l’on oublie parfois que la plupart des hommes et des femmes vivent au quotidien à partir du milieu naturel et de ses prodigalités, et les consignes lancées à tout-va, pour des intérêts parfois très partiaux, peuvent s’avérer totalement improductives quand leur mise en application aggrave la paupérisation. C’est bien la question de la « pauvreté » qui nous ramène à la raison et à la nécessité d’un débat focalisé non sur l’environnement mais sur le développement des sociétés humaines en lien avec leur milieu naturel, leur culture, leurs valeurs, leurs formes d’organisation.
Dans l’article ci-dessous, Alain Le Sann constate qu' »à la différence des pays du Nord, dans les pays du Sud les grandes luttes environnementales sont portées par les marginalisés : les paysans, les pêcheurs, les habitants des forêts et des bidonvilles. D’emblée le lien est fait entre protection de l’environnement et lutte contre la pauvreté, ce qui est bien rare dans les pays du Nord, alors que les plus pauvres subissent aussi l’environnement le plus dégradé, dans les banlieues par exemple ».
Reprenant l’analyse d’Anil Agarwal, fondateur du CSE (Centre pour la Science et l’Environnement), il explique le processus de pauvreté écologique : « Les paysans des pays du sud ne souffrent pas d’abord de pauvreté monétaire, mais de la faiblesse de leur accès à des ressources qui proviennent de la biomasse et donc de l’environnement naturel. Ces ressources (nourriture, eau, bois, pâturages, médicaments) sont souvent des ressources communautaires, traditionnellement gérées dans ce cadre. Les pauvres ont ainsi intérêt à gérer leur environnement de manière à assurer la pérennité de leurs ressources vitales. La dégradation de l’environnement n’est donc pas liée à la pauvreté elle-même, mais à la dégradation des mécanismes de gestion, en particulier des biens collectifs. Cette dégradation est le résultat de facteurs divers comme l’introduction de nouvelles technologies, de nouvelles valeurs plus individualistes, de nouveaux besoins monétaires. Elle provient aussi de la perte de contrôle sur les ressources et le milieu du fait de l’intervention de l’Etat et d’intérêts économiques ou politiques puissants. Si l’on part de cette analyse, il est clair que la réponse à la crise environnementale se situe d’abord dans la restauration ou le renforcement des capacités de gestion des communautés et des groupes les plus démunis. Toute politique qui aboutit à affaiblir les capacités de contrôle des communautés marginalisées sur leur milieu et leur environnement a pour effet d’aggraver la pauvreté collective en les privant de moyens d’existence et ne garantit en rien le succès de la protection de l’environnement car le besoin de survivre amènera logiquement les plus pauvres à transgresser les règles imposées de l’extérieur…
Le CSE, depuis sa création, a su montrer que les plus démunis avaient le souci de la protection du milieu pour préserver leurs ressources. L’un des mouvements fondateur de l’écologie en Inde est bien le mouvement Chipko, animé par des paysans de l’Himalaya. Le meilleur moyen de financer la protection de l’environnement, c’est de financer le travail des plus pauvres pour préserver leurs ressources. Cela assure à la fois de meilleures conditions de vie, de meilleurs revenus, et la préservation de biens communs utiles à tous (forêt, ressource en eau, biodiversité etc.).
Il y a plus de vingt ans, Anil Agarwal avait fait une proposition révolutionnaire et simple pour associer les deux politiques. Il proposait de taxer les riches du Nord comme du Sud pour assurer un transfert de revenus vers les plus pauvres et leur permettre de financer l’amélioration de leur environnement, base de leurs ressources (reboisement, récolte de l’eau, lutte contre l’érosion, protection des littoraux). Ces fonds seraient versés à des communautés qui mèneraient ces programmes… Une telle perspective peut être efficace pour sortir les zones rurales de la misère. L’Inde expérimente aujourd’hui de tels programmes en assurant un minimum de journées de travail aux plus pauvres. Pourquoi ne pas l’imaginer à l’échelle du village planétaire ? »
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