Lisbonne: une occasion manquée

Le nouveau traité européen qui est signé le 13 décembre à  Lisbonne par les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 pays membres de l’Union européenne est une occasion manquée : les enjeux environnementaux ont été passés sous silence et aucune des réformes institutionnelles proposées ne permettra de mieux prévenir les crises majeures qui s’annoncent et que confirment, rapport après rapport, les experts.

Expert en politiques publiques de l’environnement, notamment au niveau européen, Vincent Jacques le Seigneur a été successivement journaliste dans la presse écrite, conseiller au cabinet de la ministre de l’Aménagement du territoire et de l’environnement et enfin directeur général de l’Institut français de l’environnement (IFEN). Il est aujourd’hui secrétaire général de l’Institut national de l’énergie solaire (Ines). Il est par ailleurs maître de conférence à  Sciences-Po Paris et Lille depuis plusieurs années.

Ce traité, qui certes réforme les traités antérieurs pour rendre l’Europe plus gouvernable, est le premier à  avoir été négocié depuis que l’Union s’est élargie, en 2004 et 2007, aux pays d’Europe centrale, aux pays Baltes, à  Malte et à  Chypre. C’est aussi le premier qui sera mis en oeuvre alors que tous les indicateurs virent au rouge : changement climatique, impact sanitaire et environnemental des pesticides, chute drastique de la biodiversité, croissance de la désertification, déforestation

Car force est de constater que ce texte n’apporte pas de modification majeure aux objectifs, à  la définition, à  l’élaboration ou au mode de fonctionnement de l’Union en matière de développement durable en général et de protection de l’environnement en particulier. Il reprend, pour l’essentiel, les dispositions établies précédemment. Le développement durable fut introduit par le Traité de Maastricht, il y a 15 ans, et les décisions en matière d’environnement sont déjà  soumises à  une procédure de codécision avec le Parlement et au vote à  la majorité qualifiée. A l’exception de certains domaines -la fiscalité ou l’aménagement du territoire – pour lesquels le maintien du vote à  l’unanimité risque au contraire de limiter singulièrement l’action de l’Union européenne qui entend pourtant faire de la lutte contre le changement climatique et de la prévention des inondations ses priorités.

Sur ces enjeux environnementaux, on attendait un sursaut de l’Europe. On espérait que comme pour la pêche et la conservation des ressources biologiques de la mer, l’Europe s’attribue une compétence exclusive en la matière. Il n’en est rien. L’article 3 est clair : « Toute compétence non attribuée à  l’Union dans les traités appartient aux Etats membres ‘. C’est le sacro-saint principe de subsidiarité qui entrave l’action de l’Europe depuis plus de 30 ans dans le domaine de l’environnement.

Le traité de Lisbonne ne laisse pas même le loisir de s’organiser à  quelques-uns. Les coopérations dites « renforcées ‘, instituées dans les traités précédents, et qui permettraient aux pays les plus volontaires de prendre des initiatives en matière de protection de l’environnement sont soumises à  des règles draconiennes : il faut qu’au moins 9 Etats-membres y participent -l’équivalent de la règle de l’unanimité du temps de l’Europe des Neuf, en 1973- et il revient au Conseil, statuant à  l’unanimité, de l’autoriser. Le couple franco-allemand seul, ou même les six pays fondateurs de l’Europe, ne pourraient dans ce cadre décider d’une coopération renforcée.

Enfin, la participation des citoyens européens, qui sont concernés au premier chef par les enjeux environnementaux, n’est pas davantage assurée. Certes, le droit de pétition existe mais il requiert un million de signatures et il ne s’agit que d’une invitation à  agir et non d’une injonction qui serait faite à  la Commission de prendre telle ou telle initiative.

Le traité adopté à  Lisbonne n’est pas une surprise. Les dés étaient pipés d’avance puisque le nouveau texte n’a pas vocation à  remplacer les traités précédents. Et seuls des amendements aux traités existants sont aujourd’hui approuvés. Cela signifie que les politiques de l’Union restent inchangées. A une exception près, et non des moindres : l’énergie, qui acquiert là  une place inédite avec l’article 176 qui donne mission à  l’Europe de « promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables .’ Ainsi, 50 ans après le traité de Rome, mais aussi après le Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) et celui instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), les Etats membres semblent prêts de nouveau à  renoncer, dans un domaine certes limité, à  une part de leur souveraineté en faveur de la Communauté.

Dommage que l’on n’ait pas saisi cette occasion pour les autres domaines de l’environnement alors même que le traité adopté aujourd’hui n’entrera en vigueur que le 31 octobre 2014. C’est à  se demander quel âge auront nos enfants lorsqu’ils verront enfin l’Europe prendre son avenir en main.

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