« Il faut pêcher moins si l’on veut continuer à  pouvoir pêcher »

SÈTE (HÉRAULT) ENVOYÉE SPéCIALE

Un Français est le plus grand spécialiste au monde des ressources marines. Mais qui, dans son propre pays, connaît Daniel Pauly ? « C’est le numéro un dans son domaine. Il a fait comprendre à  la communauté scientifique et au monde l’ampleur de la surexploitation des poissons », dit Philippe Cury, directeur du Centre de recherche halieutique méditerranéenne et tropicale (CRH), basé à  Sète. M. Cury a invité Daniel Pauly à  passer quelques mois au CRH, afin que la France découvre enfin ce « grand monsieur » qui vit à  Vancouver, au Canada.

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Un parcours international

1946 : naissance à  Paris.

1979 : docteur en biologie marine à  l’université de Kiel, en Allemagne. Départ à  l’International Center for Living Aquatic Resources Management (Iclarm), aux Philippines, où il développe la base de données fishbase.org.

1994 : professeur au Fisheries Centre de l’université de Colombie-Britannique, au Canada.

1999 : début du projet Sea Around Us de cartographie de l’impact de la pêche.

2003 : directeur du Fisheries Centre. Le magazine Scientific American le classe parmi les 50 scientifiques les plus influents.

2005 : prix international Cosmos, qui récompense la recherche en écologie.

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En pénétrant dans le petit bureau mis à  sa disposition, voici ce que l’on sait de Daniel Pauly : il a derrière lui plus de 500 publications scientifiques et une trentaine de livres. Il est bardé de récompenses internationales prestigieuses – dont le prix Cosmos, l’équivalent du Nobel en écologie, en 2005.

Et il vient tout juste de rendre visite à  sa mère, dans la Creuse. La couleur de sa peau, ses yeux verts et son accent indéfinissable témoignent d’une histoire personnelle peu banale. Né en 1946 des amours d’une ouvrière française et d’un GI vite reparti aux Etats-Unis, il est confié par sa mère à  l’âge de 2 ans, malade, à  une famille suisse romande. Empêché de revoir sa mère, coupé du monde, il vit une enfance « à  la Dickens », où les livres sont « la seule échappatoire ».

Adolescent, il s’enfuit en Allemagne, où il travaille comme manoeuvre dans l’industrie chimique le jour et étudie le soir, tout en recherchant sa mère, qu’il retrouvera à  l’âge de 18 ans. « Elle s’était mariée et avait eu sept enfants, mais elle ne m’avait pas oublié, raconte Daniel Pauly. Son mari m’a adopté et je porte son nom. »

1969, année du bac, de la rencontre avec son père et de la découverte des Etats-Unis. « C’était un chaudron bouillonnant de luttes sociales, se souvient-il. J’étais très conscient du fait d’être noir. Je voulais partir dans un pays du tiers-monde et étudier quelque chose de concret, pour aider les gens qui m’accueilleraient. »

Passionné d’histoire, de littérature, de philosophie, il étudie… l’halieutique, c’est-à -dire ce qui concerne la pêche, et devient docteur en biologie marine en 1979. « Je ne suis pas comme beaucoup de biologistes qui ont une sensibilité forte à  la nature, dit-il. J’aime analyser les données chiffrées et déceler les grandes tendances. »

De quoi est-il le plus fier ? D’avoir mis au point une méthode simple d’évaluation des stocks de poissons, utilisable dans les pays pauvres. D’avoir développé la plus grande base de données au monde sur la biodiversité : fishbase.org est utilisée par tous les laboratoires spécialisés. Daniel Pauly a créé une autre base de données unique (seaaroundus.org), qui cartographie les prises de pêche sur tous les océans.

Directeur du Fisheries Centre de l’université de Colombie-Britannique, à  Vancouver, il a surtout été le premier à  développer une vision globale des ressources halieutiques, en analysant les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les seules disponibles à  l’échelle mondiale. « Partout dans le monde, les chercheurs constataient que les pêcheries sur lesquelles ils travaillaient se cassaient la figure, mais personne ne distinguait le problème général », explique le chercheur.

Dans un article retentissant paru en 2001 dans la revue Nature, il prouve que, contrairement à  ce que disent ces statistiques, les prises mondiales de poissons – ainsi que les stocks – diminuent depuis la fin des années 1980, parce que la Chine, premier pays pêcheur au monde, fausse ses chiffres. Dans un autre article, il démontre que les hommes pêchent des poissons situés de plus en plus bas dans la chaîne alimentaire des océans. « Si nous continuons sur cette voie, nous finirons par manger du zooplancton », sourit-il.

« Le nombre de stocks de poissons surexploités ou épuisés ne cesse d’augmenter, constate-t-il. Si rien ne change, les conséquences seront terrifiantes. » Il condamne la gestion mondiale des stocks, dominée selon lui par les intérêts du secteur de la pêche, qui ont pris le dessus sur les considérations scientifiques et politiques.

Daniel Pauly est soutenu par le Pew Charitable Trust, une fondation américaine d’intérêt général, et considère les associations de protection de l’environnement comme les seules véritables représentantes des intérêts publics en matière de protection des océans. Cette attitude lui vaut la méfiance d’une partie de la communauté scientifique, qui lui reproche un engagement trop marqué, une tendance au catastrophisme, et une vision approximative. « Il pense en grand, c’est son originalité, commente Philippe Cury. Mieux vaut être approximativement juste que précisément faux. Aujourd’hui, le consensus émerge sur l’état des ressources. »

Daniel Pauly assume son engagement. Il recommande de « réduire l’armée déployée contre les poissons ». « Il faut pêcher moins si l’on veut continuer à  pouvoir pêcher, dit-il. En ciblant la pêche industrielle, on réduirait beaucoup les capacités de pêche, sans affecter beaucoup de personnes. »

Il plaide également en faveur d’un réseau étendu d’aires marines protégées (aujourd’hui limitées à  0,8 % de la surface des océans) et s’emporte contre les subventions à  la pêche, qui représentent 27 milliards d’euros par an, selon ses calculs, et « permettent à  la surexploitation de continuer ».

« Quand on me demande, à  la fin d’une conférence, ce que chacun peut faire pour protéger les océans, je réponds qu’on ne gère pas les stocks avec son estomac, mais avec sa tête, lance-t-il. Je réponds : mangez ce que vous voulez, allez dans une ONG faire du raffut et utilisez votre bulletin de vote. »

Gaêlle Dupont

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