Oui, l’institution prud’homale est conforme au Droit Européen…

c’est ce que confirme une étude juridique de 2007 réalisée à  la demande de la Prud’homie de pêche de Saint-Raphaêl, avec l’appui financier de la Région PACA :

 » La réforme de la politique communautaire des pêches (PCP), opérée en 2002, a renforcé les compétences des Etats dans la bande côtière en opérant une « renationalisation ‘ à  leur profit. L’exercice des compétences prud’homales au sein de cette bande côtière de 12 milles ne s’oppose donc pas à  la réglementation communautaire, tant qu’elle ne contrevient pas aux principes et aux objectifs de la PCP. »

L’auteur précise la nature juridique de l’institution :

« Les prud’homies de pêche seraient donc des établissements publics spécialisés, dotés de la personnalité morale, d’un budget et de recettes propres, susceptibles d’ester en justice. Elles font parties du groupe dit des « institutions corporatives ‘ dont l’existence est fondée sur celle d’un groupe humain particulier. Au sein de cette catégorie, on retrouve les chambres professionnelles (de commerce, d’industrie, d’agriculture, de métiers) ou les associations syndicales de propriétaires([Il convient toutefois de préciser qu’au sein de cette catégorie, on trouve également des organismes privés tels que les ordres professionnels (ordre des avocats, ordre des médecins) ou les fédérations sportives, mais qui ne disposent pas de prérogatives de puissance publique comparables à  celles de la prud’homie.)].

Les prud’homies seraient par conséquent une catégorie d’établissements publics ayant, selon la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, le même rattachement territorial sous la même tutelle administrative et une spécialité analogue (groupe d’établissements publics spécialisés). »

Si le principe de l’adhésion à  la Prud’homie n’est pas obligatoire, tout pêcheur travaillant dans ses eaux ne peut se soustraire à  la réglementation, à  la juridiction et à  la discipline prud’homales :

« La prud’homie n’est pas une institution corporatiste censée représenter les intérêts professionnels et économiques des pêcheurs… Aussi, le principe d’une libre adhésion à  la prud’homie semble davantage conforme au principe de la liberté du commerce et de l’industrie d’autant plus que plusieurs catégories de pêcheurs sont exclues de la prud’homie par les textes (notamment ceux qui exercent depuis moins d’un an).

La question des pêcheurs étrangers permet de clarifier ces questions d’appartenance. Ces derniers ne sont pas membres des prud’homies mais restent cependant soumis au pouvoir juridictionnel des prud’hommes dans la circonscription dans laquelle ils exercent leur métier. Ils bénéficient également des avantages accordés aux membres, mais sont en contrepartie astreints au paiement de la demi-part.

Par conséquent :
– l’adhésion à  la prud’homie n’est pas obligatoire (en vertu de l’absence de dispositions confirmant ce caractère obligatoire au sein du décret de 1859) ;
– le pouvoir juridictionnel et disciplinaire des prud’hommes s’appliquent à  tous les pêcheurs, pourvu qu’ils travaillent dans la circonscription prud’homale ;
– les règlements prud’homaux régulièrement adoptés sont opposables à  tous les pêcheurs travaillant dans la circonscription prud’homale, y compris à  ceux qui
choisissent de ne pas adhérer à  la prud’homie (sous réserve du respect des règles de publicité desdits règlements, voir infra). »

Sur le plan juridique, la compétence territoriale des Prud’homies s’étend à  la limite des eaux territoriales [Concernant la question de la délimitation en mer entre 2 Prud’homies, notamment lorsque la côte est découpée : « Sur les délimitations de frontières maritimes, il n’y a pas de règle générale même si 80% des accords internationaux retiennent la règle de l’équidistance. On prend deux points de chaque côté et à  la même distance de la frontière terrestre, et l’on établit une ligne vers le large qui sera toujours à  distance égale des points retenus de part et d’autre de la frontière. C’est une opération complexe qui donne souvent lieu à  un arbitrage international pour les frontières maritimes des Etats. De nombreuses frontières ne sont d’ailleurs pas encore définies. Il existe une autre règle, celle de l’équité, qui consiste à  prendre en compte des critères plus subjectifs, tels que les stocks de pêche, la richesse des sous sols etc. pour tracer une frontière qui sera équitable pour les deux parties. Entre prud’homies, un accord qui ferait référence à  une carte marine annexée à  l’accord sur laquelle est tracée la frontière admise par les prud’hommes devrait suffire (en retenant par exemple la méthode de l’équidistance)]

« D’un point de vue strictement juridique, il semble logique de reconnaître la compétence territoriale des prud’homies, dans le silence des textes, comme s’étendant jusqu’à  la limite des eaux territoriales. C’est vraisemblablement ce qui était implicitement reconnu en 1859 par les rédacteurs du décret, alors que la mer territoriale ne s’étendait pas au-delà  des trois milles. L’extension des eaux territoriales et le développement de formes de pêche nouvelles non soumises à  l’autorité prud’homale (chalutiers en particuliers) a entraîné une spécialisation du territoire de pêche qui a en quelque sorte rétablie cette ancienne limite des trois milles. Cependant, il convient de préciser que d’un point de vue juridique, la notion de 3 milles est inexistante (en dehors de l’interdiction des arts traînants) et ne doit donc pas être retenue comme limite du territoire prud’homal. »

Concernant les attributions juridictionnelles, les Prud’hommes ne peuvent juger que de conflits civils entre pêcheurs (et non pénaux) et dans un cadre limité. A propos de « l’absence de voie de recours », aucun texte ne prévoit explicitement le principe du double degré de juridiction et d’ailleurs la Prud’homie n’est pas unique en son genre :

« La prud’homie est reconnue comme une juridiction spécialisée et intégrée comme telle dans le code de l’organisation judiciaire (articles L 261-1 et R 461-1) au sein des juridictions spécialisées non pénales, au même titre que le tribunal de commerce, le tribunal paritaire des baux ruraux ou les juridictions de sécurité sociale. Ces textes renvoient au décret du 18 novembre 1859 qui est par conséquent toujours applicable.

…En raison de la classification de la prud’homie comme juridiction spécialisée non pénale, et de l’article 17 du décret de 1859, il résulte cependant que les prud’hommes ne peuvent juger que de conflits civils entre pêcheurs. C’est l’interprétation également retenue par le Conseil d’Etat dans son avis du 6 février 1962.

Cette compétence juridictionnelle est cependant fortement encadrée et limitée :
– seuls les patrons pêcheurs peuvent être traduits devant le « tribunal de pêche ‘ ;
– seuls les conflits civils nés de « faits de pêche, manoeuvres et dispositions qui s’y rattachent ‘ peuvent y être présentés ;
– le conflit doit avoir pour origine un « fait de pêche ‘ né dans la compétence territoriale de la prud’homie telle qu’elle est définie par le décret no 93-56 du 15 janvier 1993.

L’absence de voie de recours a été invoquée comme contraire aux libertés publiques. Cependant, aucun texte ne prévoit explicitement le principe du double degré de juridiction. Certains jugements devant les juridictions civiles ou administratives ne sont d’ailleurs susceptibles d’aucun appel : actions devant les Tribunaux d’instance ou le juge de proximité dont le taux de ressort est inférieur à  4000 euros, recours indemnitaires devant les tribunaux administratifs inférieurs à  10000 euros, ainsi que certains recours pour excès de pouvoirs. Toutefois, dans ces situations, un pourvoi en cassation reste possible, alors qu’il n’est pas prévu pour les jugements prud’homaux. Mentionnons dans ce sens que le Conseil d’Etat statue parfois en premier et dernier ressort, sans recours en cassation possible. »

alors pourquoi ne pas « imaginer » une complémentarité de rôle comme le suggère notre expert juridique, dans un intérêt collectif et de cohérence régionale ?

 » Plutôt que d’opposer comités des pêches et prud’homies, une lecture complémentaire des
rôles de chacun pourrait fournir de bons résultats.
Les comités locaux ont un rôle important en matière de valorisation de la ressource (mise en place de labels qualité, amélioration des conditions de mise sur le marché) que n’occupent pas les prud’homies. A ce titre, leur rôle est davantage complémentaire qu’en opposition.

Les comités régionaux sont une importante force de proposition pour faire évoluer la réglementation des pêches dans leur zone de compétence. Leurs délibérations peuvent ainsi être rendues obligatoires pour une durée maximale de 5 ans (article 22 du décret du 30 mars 1992 modifié par le décret du 17 mai 2006) dans tous les domaines liés à  la régulation de l’effort de pêche, à  l’adéquation de l’outil de pêche avec la ressource disponible, et de la limitation du volume des captures.

Ce rôle, très proche de celui des prud’homies, peut devenir complémentaire en fonction de l’échelle de compétences de chaque institution : l’échelon régional pour le CRPM, l’échelon local pour la prud’homie.

Une démarche intéressante consiste à  mettre en place au niveau régional un système de licences professionnelles, annuelles, personnelles et non transférables. Le CRPM a la possibilité de définir des zones dans lesquelles les conditions d’attribution des licences varient en fonction de la ressource disponible et de l’effort de pêche. En mettant en adéquation ces zones avec les circonscriptions prud’homale, et en délégant la gestion des licences à  la prud’homie, celle-ci dispose d’un moyen juridique permettant, en lien avec le CRPM, de définir les conditions d’accès des navires en fonction de leur taille ou de leur tonnage, compétence qui échappe actuellement au pouvoir réglementaire de la prud’homie.
Libre ensuite à  cette dernière « d’affiner ‘ la réglementation au niveau local à  travers les règlements prud’homaux.

L’idée de passer par le CRPM pour la création de cantonnements de pêche, ensuite gérés par les prud’homies, peut également permettre à  la prud’homie de disposer d’un territoire au sein duquel la ressource est strictement protégée. Cette possibilité qui n’est pas autorisée à  travers la mise en oeuvre de la réglementation prud’homale devient ainsi possible par la complémentarité avec le comité régional des pêches maritimes. »

Lire le rapport juridique rédigé par Sébastien Mabile

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