Sur le chemin « Des hommes et des dieux », il y eut « Le testament de Tibhirine ‘ d’Emmanuel Audrain

C’est, en effet, en découvrant ce documentaire, un soir très tard à  la télévision, sur France 3, qu’Etienne Comar, scénariste, est touché par cette histoire et a le désir d’écrire une fiction. C’est le départ du film réalisé par Xavier Beauvois.

Retour sur ce documentaire et ce qu’en dit Emmanuel Audrain :

– Faire advenir « la deuxième histoire ‘ de Tibhirine

La première histoire de Tibhirine, elle est connue du monde entier. Elle a fait la Une des médias, en 1996. Il y est question de terreur, de Groupes Islamistes Armés, de Services secrets, de cercueils remplis de sable et de mensonges d’Etat Cette histoire-là , s’attache bien peu aux moines. Elle est sinistre, désespérante…

La « deuxième histoire ‘, celle de l’amitié de ces moines pour ce pays d’Algérie et pour son peuple. Cette relation, tissée depuis des dizaines d’années, avec la patience du fil des jours, elle est belle. Elle a failli passer inaperçue. L’actualité, dévoreuse d’événements, va si vite. Sans « le testament de Christian ‘, cette seconde histoire aurait-elle été soupçonnée, aurait-elle été entendue ?

C’est, quelques jours après leur mort, que « le testament ‘ est publié dans La Croix, puis dans la presse du monde entier. C’est ainsi, qu’en Bretagne, à  ma table de travail, je le découvre. Je le lis et le relis Avec quel étonnement. Comme il me bouleverse, cet amour inconditionnel pour l’Algérie et les Algériens. Ce respect pour l’Islam. Ce pardon offert Avec ce texte, Christian et sa communauté viennent de reprendre la parole, et aussi simplement qu’ils avaient vécu, ils donnent les clés de leur présence, en ces lieux et ces temps, si troublés. Je me souviens avoir éprouvé de la gratitude pour ces sept hommes ( à  l’époque, j’étais bien loin de penser que cela me conduirait à  réaliser « Le testament de Tibhirine ‘ ).

Deux ans plus tard, juillet 1998. C’est au Pèlerinage islamo-chrétien de Vieux-Marché en Bretagne, que je rencontre la soeur et le beau-frère de « Célestin ‘ ( l’un des sept moines ). Ils connaissent bien Tibhirine, pour y être allés plusieurs fois. « Viens nous voir, à  Nantes. ‘ Ce que je fais. Ils aimeraient que je réalise un film sur Célestin. L’homme est attachant, pourtant, ce qui me captive dans leurs propos, c’est tout ce qui concerne « la communauté ‘. Les liens avec les voisins. Les liens entre eux. Je découvre des personnalités fortes, traversées de tensions et d’oppositions, mais qui s’unifient autour de choix communs. Je comprends mieux, pourquoi ils sont « restés à  Tibhirine ‘. Quand je les quitte, ils me disent : « La famille de Michel est toute proche, l’Abbaye de Bellefontaine, aussi. La maman de Christophe, n’est pas loin. ‘ C’est ainsi que je commence un tour de France des familles et des monastères. Vendôme, Rennes, Aiguebelle – Montélimar, Thonon, Bordeaux, Paris.

J’écris un premier projet de Documentaire « Rester à  Tibhirine ‘, qui devient assez vite « Le testament de Tibhirine ‘. Nous sommes en 2000. Gilles Padovani, mon producteur, le propose aux responsables des différentes chaînes de télévision. Sans succès. « Cette histoire n’intéresse qu’un tout petit public. Par contre, il y a une enquête à  faire sur les GIA, les rivalités entre services secrets… ‘ Merci bien. Ce n’est pas notre projet. Finalement, c’est l’approche du « dixième anniversaire ‘, qui décide une chaîne du Service public à  entrer en co-production.

Quatre ans plus tard, automne 2004. Premier séjour en Algérie.
Le neveu de Frère Luc m’accompagne, il me montre le chemin. J’ai choisi de filmer seul, discrètement. En 2005, je fais deux autres séjours. 48 jours, en tout. C’est beaucoup. Sur le plan économique, ce n’est pas raisonnable, mais je souhaite tellement recueillir la parole des « voisins ‘ et amis algériens des moines. Je commence plusieurs tournages à  Alger, Tibhirine, Médéa. Je sens qu’il me faut du temps. « Je vais revenir ‘, dis-je à  chacun. Et je reviens. Mais, mes différents témoins se récusent, les uns après les autres. L’un me confie : « Parler de cette « décennie sanglante ‘ ( les années 90 ) dans un film qui va passer à  la télévision, c’est se mettre en danger. ‘ ( j’avais deviné ).

Mon « témoin algérien ‘, c’est en France que je le découvre. Rachid, le mari d’Annick, une des nièces de « Paul ‘, est Algérien. Avec leurs trois enfants, ils vivent à  Thonon-les-Bains. Le tournage se fait en plusieurs étapes, et Rachid ( aux côtés d’Annick ) trouve les mots pour dire combien le séjour qu’ils ont fait à  Tibhirine, a marqué leurs vies. Les moines parlent l’arabe et connaissent mieux que lui, l’Algérie et l’Islam. Il est bouleversé de l’intérêt que ces hommes d’âge mà’r, portent « à  un jeune Beur ‘. « C’est eux, se souvient-il, qui m’ont le plus « donné ‘ Ils m’ont fait lentement comprendre, qu’on peut être « grand ‘, autrement que par le fric, la violence ou « la sape ‘. Ils m’ont ouvert un avenir… La qualité du coeur, la droiture, l’honnêteté. ‘

« Pourquoi sont-ils restés ? ‘

Cette question, qui était le coeur de mon film, est traitée dans le film de Xavier Beauvois avec les moyens de la fiction. C’est un beau travail d’adaptation et de création. Peu de mots. Des chants et des visages « habités ‘, font revivre les sept moines Avec leur coeur, leur foi et leurs mains nues, on les voit se confronter à  la violence. Celle des «frères de la montagne ‘ et celle des « frères de la plaine ‘. La salle est bouleversée. Quand le film s’achève, ma voisine de droite, Annick (nièce de Paul, l’un des moines) jette un regard vers notre voisine de gauche, sa belle soeur Algérienne. Celle-ci, dit : «Ces moines ont tant aimé mon pays, qu’ils me donnent envie de le considérer à  nouveau. Et de garder espoir ! ‘

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