Reportage audio : cliquer ci-après : Pêcheurs WADDEN – L’encre de Mer
« Je suis jeune », tient à souligner Jan Geertsema-Rodenburg. Une précision non pas en forme de coquetterie, de toute évidence étrangère à son monde, mais en raison de cette vérité : il ne le sera pas toujours. En dépit des apparences, la question est centrale. Quid de la définition d’une pêche durable, reléguée à un métier pour « démunis », que pratiqueraient certains à leur corps défendant, telle une muséale tradition, autorisée en certains lieux prévus à cet effet, tel un tourniquet de cartes postales ?
Pêcheurs des Wadden et membres de Slow Fish, Barbara et Jan Geertsema-Rodenburg ont participé aux ateliers de travail en vue de l’élaboration du Manifeste de Slow Fish, ateliers qui ont consisté à confronter entre elles, les pratiques et les expériences de pêcheurs de l’Equateur, du Mexique, de la Norvège, de République du Congo, d’Italie, de France, des Etats-Unis… Des moments privilégiés de débats entre pêcheurs, sans intermédiaire. Pour Jan et Barbara, reléguer la pêche durable à cette petite pêche est une erreur. Ils rejoignent en cela le point de vue d’Alain Le Sann, fondateur du festival international de films « Pêcheurs du monde » : le cantonnement du petit métier à un pré-carré qui se réduit comme peau de chagrin, au regard de la pression qui s’exerce sur les bandes côtières, revient à « faire le jeu » de Bruxelles : quand l’ensemble de la pêche, idéalement, devrait être durable.
L’exemple de Jan et Barbara Geertsema-Rodenburg est d’autant plus probant qu’ils font partie des huit derniers pêcheurs autorisés dans la partie néerlandaise du Parc des Wadden, cette bande côtière de 450 kilomètres qui s’étend depuis les Pays-Bas jusqu’au Danemark (l’Aire de conservation de la mer des Wadden néerlandaise et les Parcs nationaux allemands de la mer des Wadden de Basse-Saxe et Schleswig-Holstein) : en néerlandais, « l’estran », les Wadden est l’un des derniers écosystèmes intertidaux naturels à grande échelle où les processus naturels se poursuivent de manière quasi non perturbée. A ce titre, les Wadden font partie des 46 sites marins répertoriés « patrimoine mondial » par l’Unesco. Leur dégradation représenterait une disparition d’une biodiversité inestimable à l’échelle du globe. Renouvelées annuellement, les autorisations de pêche y sont strictes (normes Waddengoud – l’Or des Wadden – pour la pêche au filet maillant), et respect du Nature Conservation Act de 1998 (article 19d) pour ce qui concerne en particulier la protection des oiseaux (distance de 1 500 mètres des zones de nidification à respecter, etc) .
Au demeurant, le fait qu’une huître soit sauvage, et se reproduise du surcroît dans un Parc, n’élude pas l’interrogation sur la préservation d’un milieu unique en soi : « L’huître, une peste ? » interrogent Jan et Barbara : « Il y a cent ans, l’huître de l’Atlantique couvrait la majeure partie des Wadden. Mais à la suite d’une maladie, cette catégorie d’huîtres a disparu, pour laisser place à l’huître du Japon, qui a une croissance très rapide et absorbe quantités de plancton. Elle s’établit sur les zones de moules et de coques, et posent problème aux oiseaux qui ne peuvent pas ouvrir leurs coquilles. Cette expansion de l’huître du Pacifique est donc vue par les biologistes autant que par les pêcheurs avec inquiétude autant qu’intérêt. » De fait, cette huître n’en n’est pas moins sauvage, et de ce fait plus résistante aux maladies. En outre, propre à la consommation, elle approvisionne en quelque sorte la petite pêche manuelle.
Alors que les Pays-Bas exportent 70% du produit de leur pêche, Jan et Barbara ont opté pour les débouchés locaux, aussi bien les marchés hebdomadaires « organics » – bio – d’Utrecht et d’Amsterdam, mais aussi le premier Slow Fish café au monde , qu’ils ont ouvert l’an dernier en présence de Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food, à Lauwseroog – sur les îles des Wadden en face de Groningue.