Ils étaient là , comme chaque année, pêcheurs, plaisanciers, familiers sanaryens et de la mer qu’ils côtoient chaque jour. Il y eut un petit film régalant de la plus grande bouillabaisse du monde, organisée par les pêcheurs et la mairie. Souvenir mythique d’une fête populaire – mais pas seulement – d’une collusion réussie entre, d’une part, des hommes solitaires qui, une fois par 2 ans, s’assemblent, se coordonnent, unissent leur énergie pour régaler la contrée et, d’autre part, cette contrée tumultueuse, sensible à l’effort démesuré mais gratuit ; une bribe éclatante de notre humanité.
Il y eut ce film éprouvant des « hommes vrais ‘, des Tchouktches vivant de la chasse au morse et à la baleine sur cette étroite, déshéritée langue de terre du détroit de Béring ; la mort lente d’un peuple miné par l’alcool des colonisateurs et par des régimes politiques expansifs ne supportant pas l’exception, même en ce lointain bout du monde. Soviétisme d’abord, capitalisme financier ensuite, propre à exploiter la moindre parcelle de richesse ; face cachée des intérêts miniers, pétroliers, face ouverte du tourisme écologique, folklorique Le réalisateur nous emmène partager, dans un univers des plus hostiles, le quotidien de ces brigades de chasse, leurs règles de vie collective – seule voie de survie – sans état, ni autorité, si ce n’est celle du groupe face à une nature des plus sauvages, à la violence du climat. Triste histoire d’un peuple méprisé, heureux souvenir de cette voix chaude, amicale qui porte en son cœur tous ses amis perdus. Merci à Frédéric Tonolli. Sans lui, nous ne connaitrions pas l’existence de tels hommes qui, dans leur misère, relèvent notre conscience d’être.
Disparition d’un peuple marin comme autant de tribus indigènes colonisées ; le nouvel eldorado s’appelle « Océan ‘, sa colonisation est insidieuse. Sous couvert d’environnementalisme financé à grands frais par des intérêts particuliers (pétrole, éolien, granulats, minerais, terres rares, tourisme), les prochains expulsés sont les pêcheurs qui, depuis toujours, travaillent sur leurs territoires d’eau, de roche, de sable ou de vase. Privatisation et capitalisation des ressources marines, jusque-là « bien collectif » de notre humanité : un changement de main pour de grandes sociétés d’armement ou d’importantes ONG dites écologiques. Mise sous cloche par la création de grandes réserves, fermées à la pêche beaucoup plus qu’aux autres intérêts. Les ficelles sont grosses et pourtant, bien orchestrées par des relais médiatiques, le processus est en cours. Rédacteur d’un rapport* détaillé sur les financements par de grandes fondations américaines d’une stratégie aux allures totalitaires, Alain Le Sann témoignait de ce qu’il avait patiemment découvert et compris. Présents dans la salle, les pêcheurs ont de suite acquiescé, avec le sentiment intuitif mais réel que leur territoire, à Sanary comme en Mer des Tchouktches, est menacé. Pour que des « hommes vrais » perdurent, ici ou ailleurs, il faut une reconnaissance des terres collectives pour les pêcheurs artisans…
« Si on ne se défend pas, on finira comme eux » concluait ce matin Victor Caci, pêcheur de Sanary.
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*Lire sur cette question :
– Jeu d’influence et transfert de fonds pour rafler les poissons et les océans de la planète
– Blue charity business – suite
– Blue charity business – suite 2
– Blue charity business – diffusion et commentaires
– Réserves marines : une autre forme d’apartheid ?