L’an passé déjà , grâce à l’Homarus Americanus de la réalisatrice Marie Cadieux, le public du 4e Festival international de films Pêcheurs du monde avait pu apprécier l’incroyable mue du décapode en une pêche durable, en sa mue acadienne en l’occurrence. De mémoire, l’homérique homarus americanus avait même voyagé en un écrin de velours, telle une précieuse « Cartier », référence, signe des temps, à la montre-bracelet et non pas à l’explorateur. Cette année et pour la première fois, les jurys professionnel et « jeunes » du 5e Festival international de films Pêcheurs du monde ont distingué le même film documentaire, « Downeast » des réalisateurs David Redmon et Ashley Sabin. De quoi s’agit-il ? Strictement du même homard… mais dans sa version inexorable pour l’être humain.
Avril 2010, la centenaire compagnie Stinson, dernière conserverie américaine de sardines, met la clef sous la porte : Bumble Bee, l’entreprise-mère, met en avant la diminution des quotas, les concurrences chinoise et thaïlandaise, la préférence du consommateur pour le thon en conserve. Pour la petite ville de ce fait sinistrée de Gouldsboro, dans l’Etat du Maine, dont la mer côtière est riche de homards, l’espoir renaît quand un migrant italien nourrit son rêve américain : donner du travail à cette centaine de « seniors », ex-employés de Stinson, en relançant cette fois et dans la commune voisine de Prospect Harbor, une entreprise de transformation de homards. Si la politique locale s’en mêle, le conseil municipal emmené par Dana Rice refusant une subvention à Antonio Bussone, le coup de grâce sera porté par la banque, qui s’acharnera à déceler une anomalie dans les comptes de l’entrepreneur : banquier véreux, mafia, ou obligation que l’Homarus Americanus soit transformé non par une économie locale, mais via la filière canadienne ? Rien n’y fait, pas même l’enthousiasme des ouvrières : « S’il faut travailler sept jours sur sept, on y ira« , s’exclame une septuagénaire, à la fin d’une journée supplémentaire sans que les salaires ne soient versés. Quand une autre ne se formalise pas d’avoir les genoux enflés par ce travail debout et à la chaîne : après tout, dans la vie, il y a des tabourets ! Sauf que c’est la planche de salut, qui leur est retirée. Pour une poignée d’une centaine de personnes qui avaient besoin de vivre, a-t-on envie de dire. Au loin, les lumières de Boston incarnent la force de « l’avenir » face aux désuets casiers à homards. Mais qu’importe l’humain. Tel est l’émotion forte, car non surprenante et non cantonnée à la pêche, qui envahit le spectateur, telle une eau saumâtre et déjà familière.
« Les pêcheurs sont le baromètre de la planète« , dit encore l’un des habitants de l’île japonaise d’Iwaijima. Ceux-là résistent quant à eux depuis 28 ans contre le lobby nucléaire : « remballe ton projet ! » hurle courageusement une femme aux promoteurs du site de Kaminoseki, venus poser les bouées délimitant la zone de travaux en mer, juste au pied du village des pêcheurs… le courage de nos contemporains a été salué par le public du Festival aussi bien au travers de « Comme l’abeille qui fait tourner la Terre » de Hitomi Kananaka, que de « The Pipe » de Risteard O’Domhnaill. « Je viens voir ces paysages comme d’autres vont à l’église : pour y trouver la paix. Et des gens grossiers viennent vous dire « allez-vous en » : ce constat d’une habitante de Rossport, ce coin d’Irlande classée zone Natura 2000 mais où Shell a obtenu le droit de faire passer son pipe-line, entre décidément en résonance avec certaines logiques prétendument écologiques…. « Les pêcheurs ont des licences, mais pas de droit de propriété, autrement-dit pas de reconnaissance juridique. Et c’est pareil dans le monde entier, ils n’ont aucun droit quand Shell ou d’autres arrivent.«
Parmi les membres du jury professionnel, cette année, Paul Lapointe, producteur de films et cofondateur de l’Observatoire du documentaire, créé sous l’égide des Rencontres Internationales du documentaire de Montréal. Si l’ironie du sort l’a peut-être placé du « mauvais côté » pour ce qui est du homard, le professionnel n’en n’a pas moins apprécié la qualité de ce festival thématique, seul festival au monde dédié aux pêcheurs : « J’étais complètement ignorant des questions de la pêche, mais je commence à en connaître un peu plus après quelques jours ! … à en comprendre les enjeux, qui sont complexes. Et, s’il ne faut jamais rien généraliser, je trouve que ces enjeux rejoignent les questions d’industrialisation, d’économie, d’environnement, mais aussi des questions identitaires. Il y a aussi, ici, une prise de parole, et une perspective intellectuelle précise et remarquable de la part des organisateurs. »
…. « La vision d’une nature qui serait belle sans la nature humaine est une fausse piste« , soumettait à la réflexion du public, Alain Le Sann, président et fondateur du Festival International de films Pêcheurs du monde. De fait, il semble que le « remballe ton projet » soit, ici et là , décidément sur le bout de plus d’une langue… .
PM