Dimanche, à la Friche de la Belle de Mai, à Marseille, Pierre Giannetti, chef restaurateur du « Grain de sel », créait sous nos yeux admiratifs deux plats de poissons, de ceux que l’on dit « oubliés, retrouvés, méconnus », ces « foutus » poissons qui sortent du cartel « loup-dorade-saumon-rouget- sole » et qui composent la faune bien sauvage et foisonnante de nos proches littoraux. Au menu, un mulet à tache jaune et une pélamide fraîchement pêchés par Boris Obolensky, pêcheur à La Redonne, sur la côte bleue (à l’ouest de Marseille). Cela faisait tout juste deux jours que les pélamides s’approchaient de la côte et se faisaient prendre dans les filets, une chance !
Un chef restaurateur et un pêcheur aux petits métiers, une belle association qui nous assure de retrouver dans notre assiette du poisson local, sauvage, d’extrême fraicheur, dont le mode de capture est respectueux de l’environnement et éthique puisqu’il fait vivre un pêcheur artisan travaillant dans la longue tradition des Prud’homies de Méditerranée. Une association qui n’est pas toujours simple non plus, pour l’un comme pour l’autre :
« Les filets et palangres de Boris ne ramènent pas de poissons calibrés, il y a souvent plus de travail pour la découpe des filets, ou pour préparer, « encenser » des textures variées. Tous les jours, on écrit une carte, c’est toujours une catastrophe ! On le fait au dernier moment ; juste avant de servir, rien n’est prêt, le pain n’est pas cuit… Mais on aime bien ce qu’on fait. On peut dire au client ce qu’est l’histoire du poisson qu’il va manger. Cela suppose aussi un bon partenariat avec Boris, c’est se faire confiance, c’est la vie !«
Pour Boris, il s’agit aussi de diversifier ses modes de capture pour répondre au plus près aux exigences de Pierre. « Les idées préconçues des consommateurs ne sont pas toujours bonnes » explique t-il. « Il y a des périodes où la dorade est efflanquée (juste après la ponte), elles sont rares et donc chères mais pas terribles. Au même moment, les pageots, les sars, les sabres sont bien meilleurs« . Que ce soit par l’intermédiaire de Pierre ou des AMAP qu’il livre, Boris a pris le parti de transmettre la culture qui va avec les poissons qu’il fournit. Tous deux ont décidé, avec d’autres (dont L’encre de mer), de créer un résean « Slow Fish Med » pour aider à faire connaître les poissons oubliés, soutenir les pêcheurs artisans et la gestion par les Prud’homies de pêcheurs, développer l’art culinaire à partir de ces cultures locales… Cf . Slow Fish Med
A ses côtés, Patrick Perez, prépare de la brousse avec le lait de ses chèvres, des chèvres du Rove nourries dans les collines du Lubéron. Un pari osé que de faire brousser du lait ainsi, en direct, avec des équipements inhabituels (en l’occurrence, une cuisson à induction plutôt violente), une atmosphère et une température ambiante non maitrisées… Un pari réussi, le lait sous l’action de la chaleur, de son refroidissement puis du vinaigre flocule. Une partie « nature » accompagnera le mulet crà’ tandis qu’une autre, fumée au cyprès, assortira la pélamide (à moins que ce ne soit l’inverse…). Chez ce couple reconvertis en bergers, lui ancien mécano, elle autrefois financière, c’est la femme qui pâture en colline et l’homme qui prépare fromages et brousses (l’inverse des Falcot, cf. notre précédent article sur ce mode d’élevage).
Pendant ce temps, Pierre prépare une huile à base de feuilles de figuier ramassées le matin dans son quartier. Il a cueilli également des cristes marines pour leur croquant savoureux, il prépare un miel au chorizo, fait cramer une échalote, frit quelques morceaux de pain d’hier, explose un citron malmené par la cuisson radicale du four, sort des tomates cerises au vinaigre maison (les vignes viennent du domaine paternel près de Martigues)…
Il patauge finalement au moment du dressage des deux assiettes : « Le dressage, j’ai horreur de ça, je suis bordélique ! » avoue t-il devant un public ému. Rien de convenu, rien de véritablement préparé dans cette émission un peu impromptue. C’est comme tous les jours, finalement, dans sa cuisine où il compose, ajuste, cuisine au feeling. Seulement là , c’est en direct, avec un timing serré et de nombreux spectateurs. Au final, les assiettes sont magnifiques, l’une avec la pélamide mi-cuite a une touche catalane (il a longtemps travaillé en Catalogne), elle nous attire avec son mélange de couleurs et de parfums, la seconde avec le mulet crà’ semble plus douce, plus subtile dans les variations de saveurs. Mais, déjà , les gens se pressent autour des « chefs d’œuvre », il faudra aller directement au « Grain de sel » pour goà’ter les prochaines créations de Pierre, un petit restau déjà bien connu des Marseillais qui s’y pressent. A réserver donc, surtout en soirée. Des prix bien modestes à midi (dans les 20 euros) pour un chef qui a pris le parti de cuisiner et non « d’assembler ». Paraît qu’il fait son pain, ses pâtés… Bientôt, peut-être ira t-il pêcher avec Boris pour « choisir » ses poissons dans la mer !
* Le grain de sel » 39, rue de la Paix-Marcel-Paul Marseille (13001) Tél.+33 4 91 54 47 30* Boris Obolensky, pêcheur à la Redonne, fournit « Les paniers marseillais » (555 Rue Saint Pierre 13012 Marseille Tel. 04 91 53 14 70 ou 06 95 45 96 94) et le réseau Alliance Provence à Marseille.
* La chèvre rit » Patrick Pérez, chevrier, fromager affineur – Beaumont de Pertuis 84120 Tél 06 89 12 17 16