Article réalisé dans le cadre des rencontres de Guérande
Avec une superficie de 174 kilomètre carrés, Joal Fadiouth est la deuxième Aire marine protégée du Sénégal, et « la plus active », soulignait en souriant son président Abdou Karim Sall, venu à l’université Internationale de l’Alliance Terre Citoyenne, à Guérande – du 7 au 11 octobre dernier – exposer la gestion en biens communs des ressources à Joal : de fait, en 2011, quand avec l’appui logistique de Greepeance Afrique, les pêcheurs sénégalais font la tournée des popotes européennes pour signifier que les eaux sénégalaises ne sont pas le « filet de sécurité » d’une pêche européenne à sec, Abdou Karim Sall est du voyage. Et, l’an passé, quand les élections présidentielles se préparent, il est… jusque dans le bureau du président sortant, médias prêts à répercuter. Toujours avec l’appui de Greenpeace Afrique, une « caravane » recueillant alors les voix des pêcheurs pour demander que la pêche soit « une priorité des priorités », part de Joal. Un peu une bête noire des politiques, que ce visage volontiers souriant se transformant pourtant rapidement en machine à penser : « Une Ong n’aurait rien à faire dans le conseil d’administration d’une Aire marine protégée. D’ailleurs, une Aire marine protégée est une réalité dépassée, c’est de co-gestion, dont il s’agit. »
SENEGAL et RUSSIE – L’Encre de Mer
En 1966, se pêchaient 6 000 tonnes de sardinelles par an. En 2012, il s’en est pêché 50 000 tonnes
Co-gestion jusque dans l’état des lieux de la ressource – effectué en 2006 – et ancrage dans la réalité du territoire : sur une bande côtière à faible déclivité – moins un mètre tous les kilomètres – la pêche n’a finalement pas été interdite aux pêcheurs à l’épervier pour qui elle est synonyme de survie. Au-delà , elle est autorisée avec un maillage de 100 : « L’Aire marine protégée ne protège pas seulement les poissons ! « . Chaque année, le port de pêche de Joal, « port de pêche artisanale », représente 150 000 tonnes de poissons. Une pression sur la ressource qui génère « beaucoup de conflits, y compris avec les pêcheurs de Dakar« . Mais, aujourd’hui, l’autre inquiétude de la pêche artisanale est la pêche industrielle, russe en l’occurrence, à laquelle le gouvernement déchu avait octroyé en sous main 29 permis de pêche : « en 1966, se pêchaient 6 000 tonnes de sardinelles par an. En 2012, il s’en est pêché 50 000 tonnes. » C’est la raison pour laquelle les cinq premières Aires marines protégées créées par le Sénégal, sont de plus en plus envisagées par les pêcheurs, comme l’occasion de s’organiser : « mais nous avons aussi besoin de l’état » soulignait encore Abdou Karim Sall. Un état qui ne pourra sempiternellement se dédouaner de fournir les moyens correspondants. Aujourd’hui, si les chalutiers russes ne frayeraient plus en eaux sénégalaises, les pêcheurs ne lâchent pas la pression sur les politiques, pour qui la manne tentante d’argent frais signifie le pillage de la ressource. La gestion en biens communs n’est, en l’occurrence, pas un vain mot pour des pêcheurs dont les femmes s’appliquent, par ailleurs, à replanter 400 hectares de mangrove : merlot, carpe, mérou blanc, dorade (pagre à points bleus), crevettes, mais aussi tortues marines qui broutent l’herbier et lui évitent ainsi de pourrir. La mangrove fournit même du miel !
Les politiques top-down ont toutes échoué
Elle est un petit peu la petite sœur de Joal : Ngaparou. Symboliquement située entre Dakar et Joal, mais nettement plus proche de Joal…* . Abdoulaye Ndiaye était du reste l’autre représentant du Sénégal à cette Université. Ngaparou, un « village » de 15 000 habitants. Là , il est moins question de sardinelles que de langoustes vertes. Abdoulaye Ndiaye, secrétaire général de l’AMP de Ngaparou a d’emblée exposé les deux principales raisons de la crise de la pêche au Sénégal : « L’état a voulu enrayer la chute de la ressource par des politiques « top-down » qui ont toutes échoué, les acteurs non impliqués n’ayant pas suivi. Et puis il y a les nombreux conflits entre pêche artisanale et pêche industrielle. » Par ailleurs, « les mesures d’ordre uniquement techniques ne sont jamais pertinentes« . Face à cette crise, fortement accentuée par un exode rural vers la côte, Abdoulaye Ndiaye a tenu à préciser que Ngaparou n’a connu « aucun départ », tel que les ressortissants d’autres pays s’y essaient de façon dramatique.
L’aire marine communautaire de Ngaparou – 28 kilomètres carrés – se divise en trois zones : une zone de repos biologique fermée pour deux ans, une zone de récifs – ce mois-ci, 5 000 pots seront immergés pour la reproduction des poulpes – , et une zone réglementée. « Avant, j’avais cent filets, je n’en n’ai plus que vingt« , expliquait Abdoulaye Ndiaye, « je pêche désormais avec des filets de 60, plus sélectifs que la palangre, car sans appât et ne pouvant pas passer entre les rochers. » Toute la question est aujourd’hui le respect de cette Aire marine communautaire, et en particulier de sa surveillance : en 2012, 165 des 180 pirogues contrôlées dans la zone, étaient en infraction.
L’aspect communautaire de la zone s’ancre dans le territoire grâce à diverses méthodes : une « tombola GPS » a même été organisée, afin d’inciter les pêcheurs à rejoindre le comité local des pêches. A chaque plein de gas-oil, ils reçoivent des tickets de tombola qui leur feront, eux ou un autre, gagner un onéreux GPS. De plus, le comité local des pêches a mis au point un volet social de prévoyance – en cas de pirogue sinistrée, mais aussi de maladie non seulement du pêcheur mais de sa femme – ouvert un guichet de micro-crédit et pourvu à la prise en charge de la scolarité des enfants des familles de pêcheurs.
Si tout est donc loin d’être rose, au pays de la langouste verte et du mérou blanc, il est clair que les pêcheurs sénégalais ont saisi l’opportunité des Aires Marines Protégées, outils de cogestion susceptible de leur permettre de reprendre ici et là , un peu les choses en main. Les deux exemples de Joal et de Ngaparou ont-ils vocation à faire des petits ? « L’état veut créer onze Aires Marines Protégées supplémentaires dès cette année ! » L’état sénégalais a besoin de la pêche artisanale : tant il est vrai que l’unique protéine des quatorze millions d’habitants du pays ne vient pas de la terre, mais de la mer.
*Joal est à 114 kms de Dakar, Ngaparou à 90 kms.Reportages audio :
SENEGAL et RUSSIE – L’Encre de Mer
Fiches sur ces Aires Marines Protégées :
– Les initiatives locales de cogestion des ressources halieutiques de Ngaparou au Sénégal : entre succès et frustrations : Ecadim Ngaparou final-1 :
– Aire marine protégée de Joal Fadiouh au Sénégal : Fiche_joal_final