Préférerez-vous « La ballade de la jeune fille triste ‘ qui, chaque jour, se rend sur la Plage d’Argent à Porquerolles, et nage ensuite selon un rituel immuable jusqu’à ce que…. ou bien « Le marégraphe ‘ ? Chaque jeudi, le petit Frédéric vient à l’anse Calvo voir le gardien de ce mécanisme d’évaluation du niveau zéro des mers, et y fait la connaissance de Marie, la fillette de l’une des aquarelles de Charles Blocteur, le grand-père maternel de l’écrivain. Frédéric ne reverra pas Marie. Corinne Angeli, l’auteur de ce recueil de nouvelles – « La ballade de la jeune fille triste ‘ éditions Anfortas* – n’a pas connu son grand-père. Mais a grandi dans son univers. Et lui dédie aujourd’hui ce recueil de nouvelles : « mon grand-père était aquarelliste. Chez moi, je n’ai que des tableaux de mon grand-père. Il était né à Toulon et n’a eu de cesse toute sa vie, de retrouver cette lumière du sud, ces paysages. Je ne l’ai pas connu, mais il a bercé mon enfance de ses tableaux : je crois que c’est lui qui m’a amenée à l’écriture.
Une nouvelle en soi, que l’histoire d’une petite fille imprégnée par l’univers de son grand-père inconnu, au point d’en devenir écrivain. Un grand-père qui n’avait pas abandonné, malgré la guerre de 1914 : « le courage d’aller au bout de son art. ‘ A l’âge de choisir, la jeune femme s’inscrit en hypokhâgne au lycée Thiers, avant d’entamer en septembre, ses études de médecine. Mais jamais l’écriture ne quittera la dermatologue** qui, en vingt ans d’auscultation de ses patients, n’a pas émoussé sa passion de sonder les reins et les cœurs… au point de se laisser inspirer par quelque confidence : ainsi de « Vu du ciel ‘, où une femme rencontrée au Hammam lui prédit en quelque sorte ce qu’elle va vivre. Ou bien de « La dernière traversée ‘ inspirée « par un de mes patients qui a bel et bien passé le Cap Horn et publié un livre aux éditions Arthaud. Il est au courant : on se voit toujours très régulièrement. A 94 ans, il est d’une fraîcheur extraordinaire ! ‘
Entre ses petites ironies et ses cruelles blessures, la vie n’a de cesse de nous prendre au dépourvu. Ainsi nous reconnaissons-nous tour à tour dans l’amour de jeunesse que jamais nous ne reverrons, dans l’ami de longue date que l’on épouse, prenons-nous le TGV avec ce médecin marseillais marié à une femme mélomane et ayant la musique en horreur, mais courant retrouver une violoniste qui lui rendra le goà’t de sa femme. Les contre-pieds de la vie, au détour d’une roue de voiture qui achoppe sur un simple bout de trottoir. Et la vie laisse ses traces : «La peau est le miroir de l’âme. J’entends beaucoup de choses. Je les écoute : comme nous sommes seuls, avec une douleur pourtant déjà vécue par d’autres ! Et comme dans « La ballade de la jeune fille triste », la main tendue de ce vieil homme est primordiale. La douleur nous renvoie tant à nous-même et à notre solitude. ‘
Endoume, le Roucas Blanc, les rues Sainte et Montgrand, dix de ces douze nouvelles puisent à même Marseille : « je suis née à Marseille, j’y ai grandi et y ai toujours vécu. C’est toujours un bonheur d’aller au marché aux poissons ou à l’Hôtel Dieu qui a rouvert. ‘ Marseille n’est pas le roman noir que l’on nous raconte à l’envi : » Cela me désole que l’on renvoie une image pareille de Marseille, faits divers et règlements de compte ! Je pense que l’on exagère un peu ce côté de Marseille, qui existe, mais Marseille n’est pas que cela. C’est une ville très attachante, issue de cultures multiples, qui a l’immense chance d’être ce port ouvert sur la Méditerranée : chance qui peut faire son malheur aussi ! Mais si les Marseillais ont une grande qualité, c’est cette plus grande facilité à vivre la diversité culturelle et raciale qu’ailleurs. ‘
Une aptitude parisienne moindre ? Alors qu’elle rejoignait son éditeur rue Bonaparte, le chauffeur de taxi eut pour réponse à propos de Pierre Hermé : « Qui c’est, celui-là ? ‘. Pas idée de repérer une rue comme cela : « Et comment peut-on trouver une rue avec le nom d’un boulanger ? ‘. Quant à raconter la scène du taxi parisien : « à‡a n’intéresse personne, vos histoires ! ‘. Une fiction, évidemment, encore que…. Prochain ouvrage de Corinne Angéli, un deuxième roman, épistolaire cette fois, à quatre mains, un roman d’amour… avec un Marseillais. Prix Cesare Pavese pour « La ballade de la jeune fille triste ‘ en 2012, la même année où Alessandro Basilico était primé dans la catégorie professionnelle, l’auteur cultive, à sa façon, les valeurs sà’res. De bonne heure imprégnée de Maupassant et Stefan Zweig, sa plume est cette certitude de se couler dans une eau à bonne température.
Pascale Marcaggi
* Editions Anfortas : www.editions-anfortas.com – « Lire c’est encore rêver. »
**Corinne Angeli est membre de l’association Le Groupement des écrivains médecins, qui tiendra son salon-dédicace à Paris, le 7 juin prochain.