Prud’hommes des régions PACA, du Languedoc-Roussillon et de Corse, ils étaient représentés par une délégation de 10 personnes reçue par la Directrice des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA), le Sous-directeur de la DPMA, le Directeur Interrégional de la Méditerranée et le Directeur Mer et Littoral (DML) des Alpes- Maritimes le 5 juin dernier. Ci-après le compte-rendu de cette rencontre Par Bertrand Cazalet :
La réunion a été organisée à l’initiative de M. Denis GENOVESE, prud’homme major d’Antibes. Le sujet central de cette réunion portait sur l’affaiblissement progressif des prud’homies, leur perte de légitimité, de compétences et de capacités de gestion face à la multiplication des règles et contraintes européennes le plus souvent inadaptées aux caractéristiques de ces communautés de pêcheurs. Les personnes présentes ont donc tout d’abord souhaité témoigner de leur profond malaise, doublé d’une colère grandissante devant la dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Ces sentiments s’expriment tant individuellement, en tant que prud’hommes responsables de la gestion et de l’avenir de leurs territoires, que collectivement au nom de l’ensemble des pêcheurs représentés.
Les pêcheurs professionnels n’arrivent plus à intégrer et accepter des décisions imposées par le haut, souvent peu ou pas négociées et qui s’avèrent in fine mal adaptées, difficilement applicables, voire contreproductives et de plus en plus couteuses. Ces règles contribuent à faire disparaitre progressivement leur profession plutôt qu’à les accompagner vers un développement durable et reconnu de leur activité. Dans de nombreux départements méditerranéens, on constate des arrêts prématurés, définitifs ou partiels des activités (plans de sortie de flotte), ainsi qu’un découragement des plus jeunes face aux difficultés d’installation et de viabilité à long terme du métier. Le sentiment de n’être absolument pas pris en compte par les instances européennes s’exprime à travers de nombreux exemples évoqués lors des discussions : permis à point, multiplication des régimes d’autorisations et des contraintes professionnelles (pesées débarquements, sécurité, géolocalisation, etc.), contingents d’autorisations et de quotas (thon rouge, poutine, gangui, senne de plage, etc.). L’UE ne considère absolument pas la situation, les caractéristiques, les contraintes et les besoins des pêcheurs méditerranéens.
Les personnes présentes ont rappelé que leur mouvement s’inscrivait aussi dans un contexte plus général de remise en question du fonctionnement et de l’action des institutions européennes. Les citoyens européens ont récemment montré leur agacement devant l’impuissance à résister aux effets d’une machine technocratique, autonome et faiblement démocratique. La volonté d’une plus grande transparence et efficacité dans la prise en compte des intérêts de la société civile s’est exprimée, incluant la voix des pêcheurs professionnels de Méditerranée française. Dans un second temps, les pêcheurs professionnels ont d’ailleurs l’intention d’interpeler et de rencontrer directement les instances de l’UE, notamment de la Commission européenne, soit directement et soit à travers leurs représentants élus au Parlement européen.
Au terme de ce constat, les pêcheurs ont avancés plusieurs propositions susceptibles d’apporter des solutions à leurs difficultés et interrogations.
– La reconnaissance des mécanismes de gestion prud’homale par les instances et le droit de l’UE. Les prud’homies sont le degré ultime de subsidiarité et de décentralisation dans la gestion des pêches. A ce titre, les principes et règles de gestion mis en place par les prud’homies doivent être reconnus, évalués et garantis par ceux qui gèrent la pêche dans les plus hautes sphères de l’UE. La mise à jour du Règlement Méditerranée de 2006 dans le cadre de la réforme de la PCP adoptée en 2014 devrait notamment permettre d’engager un tel processus.
– Le renforcement des moyens et des compétences des prud’homies. C’est la contrepartie nécessaire à la réalisation de l’objectif précédent. Il s’agit d’un enjeu fondamental sur lequel la DPMA et la DML Méditerranée ce sont engagés à travailler en collaboration avec les prud’homies. C’est un chantier institutionnel et juridique relativement dense qui devra s’intéresser : 1) aux prud’homies dans leur organisation et leur fonctionnement propres (statut, compétences, représentativité, etc.) ; 2) à la répartition des fonctions représentatives et de gestion partagées avec les comités régionaux et départementaux. Il s’agit d’opérer une véritable refonte du mode d’organisation et de gestion des pêches en Méditerranée. Ceci afin de rationaliser le fonctionnement professionnel, de limiter les coà’ts (qui grèvent de plus en plus le CA des entreprises de pêche) et de redonner aux prud’homies des compétences et des pouvoirs qu’elles ont largement perdus. Les personnes présentes ont pris la décision de réaliser courant 2014 un état des lieux de l’ensemble des prud’homies (situations, fonctionnement, moyens, difficultés, etc.) en lien également avec l’organisation professionnelle globale. Ce rapport sera assorti de propositions concrètes en termes d’évolution, de fonctionnement, de financements, etc. formulés au plus près des attentes des professionnels. Les prochaines élections prud’homales seront l’occasion idéale d’engager ce processus de réforme, de renouvellement et de reconnaissance de l’institution. Toutes les prud’homies n’ont pas gardé le même dynamisme, ni la même capacité de discipline collective. Au-delà du constat, c’est l’occasion pour elles et leurs représentants de se remettre en question, de réaffirmer leur identité et leur sens commun. Le soutien des pouvoirs publics nationaux et européens dans ce sens sera de toute évidence déterminant.
– Créer une véritable fédération des prud’homies capable de porter sur le long terme la rénovation de l’institution. La concrétisation des objectifs précédents ne pourra aboutir que par la seule volonté des prud’hommes et des pêcheurs de « reprendre la main ‘ sur leurs espaces de travail. La meilleure défense c’est l’attaque et pour éviter de se voir imposer systématiquement des décisions « par le haut ‘, généralistes et inadaptés, mieux vaut démontrer à l’UE que les pêcheurs sont capables de gérer eux-mêmes leurs eaux et leurs ressources de façon durable comme ils l’ont fait pendant des siècles. Le contexte actuel n’est plus le même, il est beaucoup plus complexe, « politique ‘ et bien moins favorable aux pêcheurs professionnels. Cela justifie, d’autant plus,de mettre en avant la spécificité, la légitimité et la diversité de nos pêcheries afin de pouvoir les protéger, les transmettre, les règlementer et les adapter, nous-mêmes, aux objectifs définis par l’UE. Nous devons absolument conserver notre polyvalence et notre liberté de travail, de techniques, de saisons, d’espèces qui sont la clé de notre gestion de la ressource et des territoires. L’opportunisme consensuel de nos pêcheries et la discipline territoriale ont fait notre force et doivent être réhabilités au sein de l’institution historique des prud’homies. C’est l’échelle territoriale de gestion la plus adaptée au milieu Méditerranéen et la plus légitime aux yeux des pêcheurs. Pour être efficiente et pérenne, la mise en place d’une fédération doit s’articuler autour d’une structure de coordination. Cette dernière devra être en mesure de faire le lien entre les prud’homies et de disposer des moyens nécessaires pour porter la voix des pêcheurs professionnels auprès des instances supérieures de décision et de gestion.
L’ensemble de ces points a été débattu lors de la réunion et illustré par de nombreux exemples concrets. Sur ces derniers, les représentants professionnels ont rappelé leurs nombreuses craintes et demandé à la DPMA de les aider face aux difficultés rencontrées par les professionnels. Le cas de l’obligation de pesée au débarquement fera ainsi l’objet d’un groupe de travail organisé sous l’égide de la DIRM à Marseille (M. ANDRIEU) afin de trouver les meilleures conditions de mise en œuvre. D’autres points tels que les conditions de débarquement du thon rouge (modalités, horaires) ou encore la taille minimale de la dorade rose qui n’est pas réaliste (et qui est d’ailleurs bien supérieure à la taille minimale en Atlantique) doivent être revus très rapidement.
Au terme de la réunion, la DPMA s’est engagée à apporter une réponse écrite aux différents éléments avancés avant le 1er juillet prochain. Le but étant de donner des garanties aux prud’homies et de formuler des propositions concrètes aux attentes soulevées par les professionnels de Méditerranée. Les représentants présents ont rappelé qu’à défaut de retour au-delà de cette date, ils décideront des suites à donner à leur mobilisation et des actions de terrain à engager sur les différentes façades de Méditerranée française.