« Une huître va s’élever sur 3 ans, elle se nourrit d’elle-même des richesses qu’il y a dans l’eau. Dans la ria d’Etel, une ancienne vallée glaciaire*, les marées s’engouffrent loin dans les terres, et il y a en amont tout un réseau hydraulique d’eau douce, de petits ruisseaux, de petits rus temporaires ou permanents qui apportent de l’eau douce en mer. Celle-ci apporte principalement les sels minéraux qui vont permettre la régénérescence du plancton. Chez nous il n’y a pas de grands mouvements des rus, il y aura plus de travail sur l’entretien des parcs autour de la sédimentation.
Il y a aussi plein de presqu’îles, un dédale maritime, c’est un tout petit secteur mais avec quand même 140 km de côtes, des virages Quand la mer monte, le courant passe d’un côté, quand elle descend, il passe de l’autre. Y a des endroits avec des sols qui sont plutôt sablonneux, plutôt vaseux, plutôt durs de la roche. En fonction du courant, de sa violence ou des apports d’eau douce, certains parcs vont correspondre au développement des huîtres la première année, d’autres vont permettre le durcissement de la coquille, d’autres encore permettront d’avoir une chair plus conséquente ; on travaille donc les parcs en rotation.
Il y a de l’élevage en surélevé et de l’élevage au sol, et il y a des parcs vides car, de temps en temps, il faut laisser le sol se reposer, se ré-oxygéner, prendre le temps de tout remettre en ordre, de nettoyer. Le milieu est riche avec des développements d’algues, de mousses, d’éponges c’est la biodiversité qui veut ça. Il faut enlever certaines algues à certaines époques car, en consommant l’oxygène de l’eau, elles réduisent la production planctonique et deviennent des compétiteurs pour l’huître
Parlons de la reproduction, une année où les conditions climatiques sont défavorables, le peu de naissain qu’il y a est résistant, avec une capacité de croissance rapide. Lorsque le naissain est pléthorique, la croissance prend six mois ou un an de plus. L’huître se nourrit de plancton mais aussi de nutriments qui sont en partie dans les sédiments et qui sont remis en suspension pendant les moments de colère de la nature, l’hiver, pendant les tempêtes, pendant les grandes marées On ne sait pas vraiment tout ce que mangent les huîtres, pour un éleveur c’est étonnant !
Comment expliquer en deux, trois mots, quelque chose que l’on apprend en vivant dans la nature sur 30 ans de carrière ? Dès qu’on change de secteur de production, les conditions d’hydrologie, de pluviosité, de courantologie, d’ensoleillement ne vont pas être les mêmes, il va falloir adapter les techniques à ce que la nature propose.
Les huîtres, c’est comme les gens : à chaque âge, y a des grands, des moyens, des petits, à chaque âge on va ramener les huîtres à terre dans notre atelier, on va les trier car elles n’arriveront pas à maturité en même temps. Le but est de ne pas travailler trois fois toute une génération en même temps car sinon on les bouscule un peu plus et on les stresse. On essaie d’avoir des lots homogènes à maturité, ça diminue le poids total porté à la fin. Il faut les changer de poches quand elles grandissent, réduire les densités, choisir des maillages plus gros pour que l’eau circule. L’effet des vagues, des courants fait qu’elles vont se concentrer d’un côté de la poche. Pour celles qui sont au milieu, c’est la crise du logement alors on va retourner les poches pour leur donner de la place, étaler les huîtres.
Une huître quand elle arrive à maturité, entre les opérations réalisées à terre et sur le parc, elle a été manipulée entre 40 et 50 fois ! Une huître c’est que du temps de travail, de la main d’œuvre, et on a l’habitude de dire c’est que de l’amour ! Voilà , une huître, c’est du temps de travail, principalement.
C’est à l’oreille que je sens si les huîtres vont bien, je secoue la poche. Au bruit qu’elle fait, je sais si il y a eu des mortalités car les coquilles vides sonnent creux, je sais si les huîtres sont en pousse parce qu’elles sont fragiles et ça fait des petits crissements, des petits craquements très particuliers, donc à l’oreille on sait déjà . A l’œil, une huître qui est partie en croissance, c’est magnifique, la pousse va faire un à deux centimètres tout autour, c’est fin comme du papier à cigarette, c’est transparent, nacré et on a des couleurs sur la partie de la coquille qui est plus dure, des couleurs violettes, rouges qui sont associées au développement de la végétation, des éponges y a un pastel de couleurs assez magnifique, une huître qui est bien portante, on le voit.
Quand en 1994, nous avons eu un problème sur la qualité des eaux, au lieu d’accuser les agriculteurs, nous avons choisi le dialogue. IIs sont paysans de la terre, nous nous sommes appelés « paysans des mers ‘. Uniquement par le dialogue, sans mesures coercitives et sans procès, progressivement, par la bonne volonté de chacun, par des petites mises en œuvre de pratiques différentes, on a pu retrouver une bonne qualité de l’eau. Ces réunions regroupaient différents acteurs du territoire : les producteurs, les communes mais aussi les autres usagers autour du tourisme, les résidents, les plaisanciers, les pêcheurs professionnels un échange d’idées passionnant et, finalement, chacun avait sa part de responsabilité. On est obligé aujourd’hui de reprendre notre bâton de pèlerin car, depuis une dizaine d’années, comme partout en France, la qualité des eaux a baissé. Il y a de plus en plus de constructions et les réseaux d’assainissement et de collecte des eaux de pluie ne suivent pas forcément.
C’est toute une histoire de territoire, une gestion qui permet à toutes les professions qui vivent autour de la rivière de pouvoir continuer. Notre choix, c’est une agriculture littorale plutôt qu’un développement touristique. Sans l’apport de l’agriculture, sans l’apport du travail sur les terres, il n’y a pas d’apport de sels minéraux en mer, donc pas de plancton, donc pas de biodiversité qui a permis à l’ostréiculture de s’installer dans la ria d’étel comme dans les baies ou les estuaires. Cette biodiversité, il faut la préserver au maximum en gardant le maximum d’activités qui permette le bon équilibre. Il y a quelques années, nous avons eu une prolifération de Pseudo–nitzschia, un plancton toxique, qui s’est développé sur toutes les côtes françaises après la tempête Xynthia. L’eau est rentrée dans les terres jusqu’à 10 km, elle est repartie en mer avec pas mal de désagréments et a généré un gros déséquilibre. A partir d’un déséquilibre à terre, on génère un déséquilibre en mer.
Traditionnellement, l’huître ne se consomme pas l’été parce qu’elle est laiteuse en période de reproduction ; la plupart des consommateurs ne l’aiment pas. En 1997, l’élevage d’huîtres triploïdes – des huîtres stériles produites en écloserie – a été autorisé sans essai préalable en milieu fermé. Dans une eau à 10°C, l’huître filtre trois heures par jour ; dans une eau à 20°C, elle filtre dix-huit heures par jour. Si elle ne consomme pas son énergie dans la reproduction, elle la consacre à la croissance. On produit donc une huître triploïde en deux ans au lieu de trois. Comme on n’a pas réduit les densités, au bout de quelques années, cela nous a amené à une surproduction généralisée dans tous les bassins, avec une surdensité à tous les âges. La nature répond à sa façon : les années de surproduction, un virus a attaqué les huîtres. En 2008, le virus a légèrement muté et décimé la moitié des huîtres de moins d’un an, en moins de trois semaines, sur les trois façades maritimes Produire du naissain en dehors du milieu naturel n’a jamais fait qu’augmenter la surproduction et, comme dans tous les élevages, cela a généré de nouvelles maladies. L’ostréiculture fait les mêmes bêtises que l’agriculture avec vingt-cinq ans de retard. Quand on a commencé à parler de ces problèmes de mortalité de juvéniles, les collègues agriculteurs et paysans m’ont regardé avec de grands yeux : « Mais Jean-Noêl quand même, depuis le temps qu’on t’explique toutes les bêtises qui nous sont arrivées avec la volaille, avec le porc et les vaches, vous auriez dà’ comprendre quand même ‘. Ce que la profession a oublié en termes de bon sens c’est que le milieu naturel produit une alimentation qui peut nourrir un certain nombre d’individus.
Si un paysan met 40 vaches dans un pré, il va produire du lait. S’il en met 80, il aura plus de lait mais beaucoup moins par vache. En ostréiculture, on n’a aucun outil de mesure sur le fourrage que l’on a. Permettre le développement à tout va, c’est forcément prendre des risques.
Par ailleurs, on se retrouve aujourd’hui avec 6 ou 7 grosses écloseries, en lieu et place des 1000 à 1200 petites entreprises qui produisaient du naissain naturel. Ces pêcheurs représentaient aussi une présence de sentinelle sur la qualité de l’eau, une garantie des territoires, des paysages, de la biodiversité. Dans de nombreux secteurs, si vous enlevez les entreprises de la conchyliculture, vous allez voir se développer le tourisme, le risque de bétonnage, et à terme plus de pollution des eaux. Le problème déborde largement l’ostréiculture. Faut-il ajouter que les brevets Ifremer vont tomber dans le domaine public en 2014 et qu’il y a un risque de mainmise par de grands groupes privés, que les risques de réduction génétique par reproduction de triploïdes sont réels, tout comme ceux de stérilisation des milieux**, qu’enfin le consommateur n’a aucune information sur ces triploïdes car leur affichage n’est pas obligatoire et les lots d’huîtres naturelles et triploïdes peuvent être mélangés ? Malgré cela, il n’est toujours pas question de parler de moratoire sur ces fameuses huîtres. Seules 70 entreprises en France ont choisi de se démarquer au sein du groupement « Ostréiculteurs traditionnels ‘ qui n’élève que des « huîtres nées en mer ‘.
Nous sommes aussi « Sentinelles Slow-Food ‘ afin de mieux faire connaître auprès des consommateurs cet enjeu des « huîtres nées en mer ‘. Et nous sommes quelques-uns à avoir signé une charte de qualité avec le Réseau associatif Cohérence en Bretagne attestant de pratiques respectueuses de l’environnement.
Rustiques, les huîtres naturelles « nées en mer ‘ ont une plus grande capacité à résister au milieu. Il nous faut miser sur la nature plutôt que sur les sélections en écloserie, préserver pour les générations futures une biodiversité et une richesse génétique qui permettront à l’huître de survivre et de s’adapter ‘.
* On appelle ça une ria dans le Morbihan, des abers dans le Finistère, des fiords en Norvège, c’est le même principe. ** D’après un rapport scientifique, si 15 tétraploïdes (les triploïdes s’obtiennent par croisement de diploïde et de tétraploïde) partent dans la nature, il faut à peine 15 ans pour stériliser l’ensemble du milieu.Ets Yvon Père et fils
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