Monsieur Le Commissaire enquêteur,
la terre nourrit la mer notamment par les rivières qui sont un véritable trait d’union. Les êtres vivants des océans ont besoin des nourriceries des marais littoraux et des estuaires pour se développer, comme la terre a besoin des forêts pour nourrir son sol. De la même façon, dans la vase des estuaires, les microorganismes du sol vont digérer les matières végétales en décomposition, à leur tour ces microorganismes, par leurs déjections, vont alimenter les bactéries qui se transformeront ensuite en sels nutritifs indispensables au bon développement des plantes et des algues.
Le transfert des nutriments de ces espaces continentaux jusque dans la mer concourt à faire des zones humides littorales des sites privilégiés, des interfaces entre terre et mer. Du mélange subtil des eaux riches en éléments minéraux et des eaux océaniques naîtra une production diversifiée de phytoplancton qui, à son tour, alimentera toute la chaîne trophique du plancton. La grande diversité végétale et animale marine dépend de la préservation de ces équilibres naturels.
Du vivier de la mer nous vivrons si, demain, nous savons protéger le vivant de la terre.
Les profondeurs océaniques apportent leurs contributions aux productions importantes d’espèces marines. Depuis la nuit des temps, le peuplement des océans, par la vie et la mort successives, n’a eu de cesse d’accumuler dans les profondeurs abyssales des sels minéraux dus à la décomposition de la matière organique. La mécanique océanique « UPWELLING ‘ remonte des profondeurs des eaux froides les nutriments nécessaires à la prolifération, dans les eaux de surface, des algues microscopiques. L’oxygène produit par ce phytoplancton favorisera le développement du zooplancton (herbivore de ces microorganismes) qui deviendra à son tour la proie essentielle des poissons fourrages (sprats, anchois, sardines) qui eux-mêmes feront le bonheur des grands prédateurs.
Ainsi, à la rencontre des eaux estuariennes et des profondeurs abyssales se développe toute la biodiversité halieutique de nos mers. La brièveté de la vie du plancton en fait un excellent indicateur de la qualité des milieux aquatiques. Il est la synthèse à l’aval des actions de l’amont, il est le résultat du comportement des actions humaines (physique, chimique, biologique ; les barrages ; les pesticides ; les déjections). Les modifications et les perturbations du plancton participent à la raréfaction de certaines espèces et peuvent déséquilibrer les réseaux trophiques et la pyramide de la vie marine.
La spécificité du littoral méditerranéen est due à sa géographie, véritable laboratoire à ciel ouvert qui conjugue, à proximité des côtes, des profondeurs différentes. Ainsi, le large, bénéficie aussi des apports de nutriments transportés par les courants continentaux. Les professionnels de la pêche doivent se sentir concernés et être attentifs à la qualité des eaux côtières : leur métier en dépend. Les choix d’aménagement du littoral ont des résonances sur l’écologie des mers et leurs conséquences peuvent devenir irréversibles pour les ressources marines. L’aquaculture (mise à part la conchyliculture) n’est pas la baguette magique contre la diminution des stocks de poissons. Elle n’est qu’une des étapes qui a permis d’acquérir les savoir-faire en matière de reproduction et d’obtention de juvéniles d’espèces marines. Elle pourrait devenir demain une activité au service du repeuplement des mers. La mer, comme la terre, sera alors capable d’assurer la production des protéines nécessaires à l’humanité à venir. Satisfaire l’alimentation de 8 à 9 milliards d’êtres humains nécessite une gestion globale des espaces littoraux, indispensable pour assurer la pérennité des productions halieutiques. « Une telle action devra être concertée entre les pêcheurs, les pouvoirs publics et les organismes de recherche et être planifiée ‘. De la compréhension des mécanismes du vivant dépendra le respect des ressources marines par l’ensemble des usagers et la préservation de cette richesse qui nous nourrit et qui contribuera, demain, à nourrir nos enfants.
Ainsi, Monsieur le Commissaire enquêteur, vous comprendrez pourquoi je ne peux que m’opposer à ces rejets toxiques qui auront, de par les courants, les échanges entre la côte et le large, et les fondements de la chaîne alimentaire qui repose sur la diversité planctonique, des effets perturbateurs importants sur l’ensemble de la vie marine. Notre planète, et la population qui l’habite, ont besoin de la richesse marine pour se nourrir.
Pierre Mollo, enseignant-chercheur, spécialiste du plancton