Peches Mediterranee Amis de la Terre 22nov2012
Les Amis de la Terre du Languedoc-Roussillon viennent de sortir un rapport complet sur la faillite de 50 ans de productivisme des pêches (renforcé dans les années 80 avec la politique européenne) dans le Golfe du Lion. Avec ses 10 milles nautiques de plateau continental dans sa partie la plus large, ce golfe représente une exception environnementale du littoral rocheux méditerranéen, et pêcheurs, politiques et administrations n’ont pas eu peur d’y concentrer des bateaux de plus de 2000 cv ! A chaque baisse de rentabilité, la flottille a répondu par un accroissement de puissance et un système de balancier entre les espèces de fond et les espèces pélagiques :
– chalutage de fond pratiqué en alternance avec les lamparos et les seincholes (les petits senneurs des années soixante),
– chalutage de fond pratiqué en alternance avec le chalutage pélagique (années 70)
– développement des senneurs pour exercer au large sur les grandes zones de frayère à partir des années 80…
Vient un moment où cette flotte surpuissante se saborde d’elle-même…
Ainsi, d’après ce rapport, les apports en criée sont passés de 25 000 t en 2002 à 5 000 t en 2011. Même si les petits pélagiques (sardines, anchois) sont généralement vendus par des Organisations de Producteurs (et non en criée), il conviendrait de voir leur part dans ces statistiques. Ces stocks se sont fortement raréfiés, dans cette zone, ces dernières années ; raréfiées ou déplacés sur les côtes d’Afrique du Nord… Complexe et toujours changeant, le milieu maritime : ces espèces à durée de vie courte peuvent exploser à certains endroits ou disparaître suite à un mauvais recrutement (problème planctonique, changement climatique…). Nous aimerions souligner à propos de ce constat d’effondrement des stocks, si tant généralisé à toutes les mers et tous les océans de la planète, qu’il doit être nuancé. D’abord, il ne résulte que de l’observation de quelques grands stocks, à partir de modèles statistiques pour des espèces dont on a des données, mais il ne prend pas en compte la santé des différents écosystèmes. Par exemple, l’observation de la diversité et de la taille des espèces par comptage en plongée (une méthode de suivi écologique) révèle que les fonds varois faisant l’objet d’un suivi sont relativement riches. Ensuite, de nombreux stocks sont en voie de restauration (notamment en Atlantique et en Manche), ce qui est rarement souligné par les médias. Enfin, les petits métiers de Méditerranée commercialisent rarement en criée, ce qui fait que leurs apports ne sont pas toujours comptabilisés… Un autre point qui mérite d’être relevé, c’est l’accent mis sur la pêche à propos de la détérioration de la ressource marine. Paradoxalement, sont rarement pointés l’impact des pesticides sur le phytoplancton, base de la chaîne alimentaire, la destruction des frayères par les constructions et aménagements portuaires ou côtiers, la dégradation des milieux par les pollutions chimiques, les hydrocarbures et autres… Il est important de connaître les bonnes cibles et leurs impacts respectifs.
La grande richesse des petits métiers de Méditerranée c’est d’avoir su, grâce à la gestion prud’homale :
– limiter l’effort de pêche,
– cultiver la polyvalence pour un panel de techniques sélectives
– maintenir un lien direct entre le pêcheur et le consommateur.
Partout ailleurs, ou presque, on gère des quotas, c’est à dire des volumes de captures limités pour des flottilles surpuissantes, négociés sur des marchés de gros.
Cette polyvalence est aujourd’hui menacée par la réglementation européenne et française. L’auteur constate que « la Politique Commune de la Pêche européenne, telle qu’implémentée actuellement, ne reflète pas les méthodes de pêches artisanales. Cette PCP est conçue avant tout pour faciliter la gestion des pêcheries industrielles, représentée dans le Golfe du Lion par les chalutiers et les thoniers-senneurs ».
– Le rapport des Amis de la Terre fait état du caractère injuste et plus que discutable sur le plan environnemental de la répartition des quotas de thons rouges et des permis de pêche entre grands senneurs et petits métiers. La pêche du thon à la thonaille par les petits métiers était une pêche rentable dont l’impact sur le stock était plus que négligeable et dont l’absence d’impact sur les stocks de mammifères avait été mis en évidence par les scientifiques. Son interdiction généralisée au titre des filets dérivants a été provoquée par divers lobbies. L’impact négatif du report de cette flottille sur les espèces côtières n’a jamais été mis en évidence mais inquiète de nombreux prud’hommes. Même à la canne ou à la palangre, le thon rouge reste une cible facile, pléthorique pour cette zone littorale méditerranéenne, et bien valorisée. Mais ces pêcheurs artisans sont toujours contraints par un nombre restreint de permis et de quotas, par un système de contrôle digne des régimes les plus coercitifs (mais peu actif pour la pêche de loisirs), et par l’obligation implicite d’adhérer à une organisation de producteurs même lorsque celle-ci est à 300 km et qu’elle n’apporte aucun service commercial (une sorte de racket institutionnalisé par l’Europe ?).
– Ce que le rapport ne dit pas, c’est la vision extrême de la Direction des Pêches françaises qui vise à interdire tout filet dérivant jusqu’aux fines mailles destinées à la sardine ou au maquereau, au-delà de 2 milles nautiques, au cas où ces filets pourraient piéger un thon ou autre espèce associée… Quand on sait que depuis plusieurs siècles, les filets dérivants ont toujours été considérés par les Prud’homies comme ayant le plus faible impact sur les écosystèmes, on peut être surpris de cette vision technocratique.
– Ce que le rapport ne dit pas non plus, c’est l’obstination de la Commission européenne à imposer un agrandissement de la maille des ganguis à 40 mm (ou 50 mm étiré), ce qui les rendra inopérants, alors même que les rapport scientifiques ont montré que cette pratique ne mettait pas en danger les herbiers de posidonies et capturait essentiellement des espèces matures.
– Si l’on rajoute le plan de reconstitution de l’anguille qui est totalement inadapté sur certaines zones ou l’interdiction (sans aucune justification scientifique car situé en eau profonde) d’un des rares sites de pêche du littoral, lors de la création du Parc national des Calanques, on peut comprendre l’urgence à soutenir l’un des « modèles » existants de pêche durable, probablement l’un des plus « artisanal » en Europe.
Le changement, c’est maintenant
L’appui citoyen et associatif requis par l’auteur du rapport pour soutenir les pêches artisanales est indispensable si l’on veut développer une pêche d’avenir et arrêter de consommer des produits de la pêche et de l’aquaculture industrielles et ne plus cautionner le pillage des eaux des pays du sud. C’est une prise de conscience qui vient aussi bien des environnementalistes que de la profession. Il n’est que de lire la réaction d’un prud’homme pêcheur, Didier Ranc : « Ce rapport est avant tout et surtout un constat d’échec de la politique des pêches. En libéralisant à la manière anglo-saxonne le métier de pêcheur, l’administration a permis à ceux ci de faire tout et n’importe quoi. Nous en vivons tous les jours le résultat très bien retranscrit dans le rapport des Amis de la terre. Pourquoi, ensemble, Amis de la terre, Greenpeace, WWF, Prud’homies de pêche ne reviendrions-nous pas au début de l’erreur, pour repartir de zéro et remettre en place ce qui fonctionnait très bien ? Rétablir le libre accès et la polyvalence pour les petits métiers, en abrogeant les interdictions qui n’ont aucune raisons d’être, tous en rétablissant les réglementations prud’homales. »
L’auteur conclue par un appui aux pêcheurs artisans : « Les Amis de la Terre de l’Hérault soutiennent les pêcheurs artisanaux qui demandent que l’attribution des droits de pêche doit se faire préférentiellement aux pêcheurs ayant véritablement des pratiques à faible impact sur les écosystèmes, un faible taux de rejet, un taux maximum d’emploi par kilo de poisson débarqué. » Plutôt « qu’attribution de droits de pêche », nous préférons « une gestion collective de la ressource sur les territoires prud’homaux ». C’est bien par une juste répartition de droits d’usage, définis techniquement dans le temps et dans l’espace, que les Prud’homies ont toujours opéré. C’est par cet aspect « collectif » qu’elles ont réussi à préserver la richesse de leurs territoires, « chacun devant pouvoir vivre de son métier avec le matériel dont il dispose ». Par égard pour les collègues, les métiers les plus efficaces sont les plus contraints. Finalement, ce sont les métiers les plus « artisanaux » qui protègent l’ensemble de la pêcherie d’une surexploitation, une façon bien « humaine » d’organiser la compétitivité entre les acteurs tout en respectant l’environnement.
NB : Concernant les propositions de réglementation* de la CGPM (Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée) reprises par le rapport, forts de l’expérience de l’arrêt de la thonaille et conscients de la complexité d’une gestion territoriale des pêches, nous pensons que toute proposition doit être discutée, au cas par cas, dans chaque Prud’homie. En l’occurence, ces propositions concernent la réduction de l’effort de pêche des palangriers et des trémailleurs afin d’accroître (ou du moins maintenir) la biomasse des poissons se reproduisant, et l’établissement de fermetures temporaires de la pêche à la palangre et aux filets maillants durant la période de frai maximal (fin automne et début hiver).