Reportage audio : SENEGAL et RUSSIE – L’Encre de Mer
La pêche était invitée à l’Université internationale Terre Citoyenne, organisée par la Fondation pour le progrès de l’homme, Charles Léopold Meyer, en collaboration avec la très active Association de Populations de Montagnes du Monde. La gestion « en biens communs » des ressources et des territoires, thème de cette université qui s’est tenue à Guérande du 7 au 11 octobre dernier, avec les « cas d’école » bretons des Salines de Guérande, mais aussi du domaine public maritime de Penbè, ne pouvait qu’attirer un secteur dont la « gestion en biens communs » de son territoire devient un leurre.
Si la pêche figurait en petit comité aux côtés des « montagnards », le fait même d’être invité à exposer et à réfléchir sur « la gestion en bien commun » de son territoire ne peut qu’être salué comme un coin enfoncé dans un mur. L’Encre de Mer était invitée à exposer la gestion prud’homale des pêches méditerranéennes françaises. Les deux autres invités de marque étaient respectivement Abdou Karim Sall, président du comité de gestion de l’Aire Marine Protégée de Joal Fadiouth, et Abdoulaye Ndiaye, secrétaire général de celle de Ngaparou.
Si la Méditerranée ne peut se comparer aux eaux de la côte ouest africaine baignées par l’upwelling, la gestion de la ressource obéit pourtant à deux logiques que connaissent bien les pêcheurs : une gestion « top down », sans concertation avec les premiers gestionnaires de ces territoires, et l’attribution de la raréfaction de la ressource à ces derniers.
C’est à cette double logique, que les Aires Marines Protégées de Joal Fadiouth et de Ngaparou ont choisi de réagir. A l’issue du Congrès de Durban de 2003, le Sénégal s’est doté de 15 Aires Marines Protégées, couvrant 198 940 hectares, avec l’intention de créer 11 AMP supplémentaires. Située à 114 kilomètres de Dakar, l’AMP de Joal Fadiouth (50 000 habitants et 2500 pirogues de pêcheurs) a su imposer une gouvernance partagée : « Nous sommes une AMP créée par des pêcheurs », a tenu à souligner Abdou Karim Sall, « car l’Etat avait créé beaucoup de parcs où les populations n’avaient pas leur mot à dire. Ce fut un échec ». L’AMP est en réalité une aire de gestion communautaire. Jusqu’à 8 kilomètres au large de la côte à faible déclivité, la pêche est interdite, à l’exception de celle de subsistance à l’épervier. Au-delà , la deuxième zone autorise la pêche avec un maillage de 100. Par ailleurs, 200 hectares de mangrove ont été reboisés. Mais si la sensibilisation des habitants à la protection de leur patrimoine naturel n’est pas chose aisée, en particulier dès lors qu’il s’agit d’une activité de subsistance, le principal problème est ailleurs.
Les médias sénégalais le qualifient désormais de « feuilleton russe ». En 2011, le gouvernement d’Aboulaye Wade délivrait en sous main, des licences de pêche à 29 chalutiers russes. Après que les pêcheurs aient su mobiliser l’opinion, et malgré l’annulation de ces licences par le premier gouvernement de Macky Sall, nouveau chef de l’Etat sénégalais, la tentation de la manne russe n’a pas évacué les eaux sénégalaises. Alors que se déroulait l’Université de Guérande, l’Aprapam (l’Association pour la Promotion et la Responsabilisation de la Pêche Artisanale au Sénégal – www.aprapam.org) interrogeait : « Allons-nous encore manger du poisson dans quelques années ?… L’incertitude est, de tous les tourments, le plus difficile à supporter. » Et de revenir sur les « incohérences » de la politique sénégalaise au regard des chalutiers russes : « Pendant qu’un chalutier russe a le droit de pêcher 70 tonnes de sardinelles dans les eaux sénégalaises, un pêcheur sénégalais en est interdit, même avec un filet mono-filament », relevait il y a plusieurs mois, déjà , l’Aprapam. Un des motifs du choix scrupuleux de la « gouvernance » des Aires Marines Protégées », pour lesquelles les subsides étatiques se font attendre ? Pourvu que la manne russe n’y pourvoie pas… .