Alors que se pose la question de l’intégration des Prud’homies dans la réforme des Comités des pêches – et plus exactement celle d’un lien entre les différents niveaux de gestion des pêches – il nous semble important de mesurer à quel point nos territoires régionaux sont traversés de forces concurrentes, parfois contradictoires, et ce, au détriment de leur dynamique économique, de leurs réseaux sociaux et de la qualité de leur environnement.
– Bon nombre d’activités maritimes sont impulsées « d’en haut », par l’Etat, que ce soit par intérêt national, dans le cadre de directives européennes, ou sous pression de certains grands lobbies. Ces activités concernent par exemple la Marine Nationale, les ports autonomes, la question de l’énergie avec l’implantation d’éoliennes, les recherches pétrolifères ou d’autres minéraux, le pourcentage d’aires marines protégées à mettre en place, la mise en place d’aires Natura 2000…
Localement, sur le terrain, les contradictions s’exacerbent. Aujourd’hui, c’est en terrain conquis que la Marine Nationale exerce des pétardements en zone rocheuse, à proximité des sites protégés, et qu’elle abandonne sur ses champs de manoeuvre des instruments polluants. C’est encore un ‘champ d’éoliennes que l’on projette d’implanter dans la baie de St Brieux où l’on élève et gère depuis belle lurette, et de façon exemplaire, la coquille saint-jacques. Demain, ce sera les 20% d’aires marines protégées qui seront implantées au petit bonheur la chance… ([Non que l’outil soit inintéressant mais pourquoi fixer un pourcentage plutôt que de laisser chaque région gérer sa zone en fonction de sa spécialisation, de sa configuration, de ses pêcheries, bref de sa réalité de terrain.)]
– Un autre lobby est porté par l’industrie des pêches qui cherche, par le renforcement d’une politique productiviste, à préserver sa place dans un contexte d’internationalisation des échanges . L’on peut se demander, au regard des délocalisations (y compris dans la pêche) et des financements internationaux des armements, si les intérêts nationaux et industriels sont toujours liés ? Est-ce que la nation (ou même l’Europe) en retire encore des bénéfices collectifs ?
– Par manque de visibilité d’une spécialisation territoriale qui prendrait sa place dans l’échiquier européen, par manque de prérogatives décentralisées et d’outils de gouvernance adaptés, les collectivités locales cherchent à tirer leur épingle du jeu. Le développement littoral le plus convoité est celui du tourisme, du nautisme et des zones résidentielles qui est « opposé » bien souvent aux activités traditionnelles de la pêche, de la conchyliculture et des marais salants. Ces activités pourraient pourtant s’articuler autour d’un objectif commun de développement régional porté par la « qualité » de l’environnement marin.
Finalement, à trop vouloir tenir la bride, l’Etat risque à terme de gérer un « désert » économique, social et environnemental. Les activités dites traditionnelles décroissent, les organisations professionnelles s’essoufflent et l’environnement ne sort pas indemne de ces manques de cohérence territoriale. Pour ne s’en tenir qu’à la pêche, l’impact d’une surpêche industrielle est souvent abordé par les médias, l’impact de lobbies environnementalistes comme l’interdiction généralisée des filets dérivants reste à mesurer mais il est fort à parier que le bilan environnemental de l’interdiction de la thonaille méditerranéenne sera négatif du fait du report des flottilles sur les espèces littorale.
Ainsi chaque décision politique s’inscrit-elle dans une conception particulière du territoire national et de la place accordée aux régions ; elle révèle par ailleurs le choix implicite d’un mode de développement qui mise sur un productivisme expansionniste et sans territoires, sur une priorité arbitraire accordée à certains grands groupes d’acteurs, ou sur la construction de territoires régionaux spécialisés dans l’Europe.
N’est-il pas venu le temps de mettre en place des outils qui amélioreront la cohérence régionale en reliant les modes de gouvernance locale avec les représentations professionnelles nationales ?
« Alors que les médias et l’Union Européenne pleurent le manque de « pêcheurs responsables », l’Etat devrait il refuser de reconnaître 120 prud’hommes pêcheurs élus démocratiquement et répartis sur le littoral ? »