A quand la distinction « artisanale et régionale » des produits de la mer ?

Photo Joseph Marando
Citoyens européens, sommes-nous du bétail à  nourrir que l’Union Européenne propose de privatiser les ressources marines aux mains de quelques armements industriels qui fourniront « massivement » les marchés(cf le système de quota individuel transférable proposé par le Livre Vert sur la réforme de Politique Commune de la Pêche)], et qu’elle négocie par ailleurs des [accords de pêche, et la libéralisation des échanges, au risque de déstructurer en tous lieux la vie sociale, économique et environnementale de nos ports de pêche ?

– Une autre façon de « comptabiliser » la valeur produite par la pêche : Les débarquements des pêcheurs provençaux, pourtant pas si misérables que ça, sont trop minimes pour être considérés par nos statisticiens. Pourtant un kilo de poissons vendu à  même le quai par les pêcheurs qui démaillent leurs filets provoque une attractivité qui rejaillit sur l’ensemble de la vie portuaire et littorale.

Cette « image » forte ancrée dans l’histoire et la culture est reprise et déclinée à  l’infini par les hôtels et offices du tourisme de la région. Bref, c’est l’un des éléments vitaux du tourisme littoral comme le sont aussi les marchés provençaux en bord de mer ou dans l’arrière-pays. Imaginez-vous l’attractivité touristique et résidentielle de ports qui ne seraient plus que les bases avancées de la pêche industrielle ?

Ce kilo de poissons « côte d’azur » véhicule à  la fois l’art d’un métier, un mode de préparation culinaire transmis avec le sourire, l’accent local et un langage imagé, mais aussi une vie sous-marine qui évolue au gré des heures, des coups de vent et des saisons, et une gestion originale de la ressource et des territoires par les Prud’homies de pêche.

En comparaison, une tonne de poissons qui transite la nuit en criée et part en camion réfrigéré vers des marchés de gros intègre dans son prix final le coà’t des intermédiaires qui l’acheminent, le plus souvent en grandes surfaces.

Deux formes « d’économie » donc, la première n’étant jamais évaluée, ni comptabilisée, seulement appréciée à  des fins « sociologiques » (c’est à  dire non économiques) dans le Livre Vert sur la réforme de la Politique Commune des Pêches.

– Estimer ces 2 formes d’économies éviterait peut-être de vouloir réaliser la « quasi-hégémonie » de pêche et aquaculture industrielles dont les produits nous sont proposés en grandes et moyennes surfaces (GMS) : des quantités massives de filets et poissons importés (67% de la consommation européenne)], des produits en priorité d’origine aquacole ([9% de notre consommation, secteur en croissance)] (c’est plus commode pour les GMS) dont les poissons carnivores sont nourris avec un gaspillage protéinique et environnemental par nos poissons sauvages([Cf. sur aquablog : « En moyenne, ce sont entre 25 et 30 millions de tonnes de poisson qui sont capturées chaque année dans le monde par la pêche minotière (près d’1/3 des captures mondiales). Ce qui aboutit à  une production annuelle de 6,5 à  7 millions de tonnes de farine de poisson, et de 1 à  1,5 million de tonnes d’huile de poisson dans le monde (il faut entre 3 et 7 kg de poissons sauvages pour produire 1 kg de poissons d’élevage).21% des débarquements de l’Union Européenne (plus d’1/5ème des captures) sont transformés directement en farine et en huile de poisson, soit près de 1,5 millions de tonnes sur un total de captures de 7,29 millions de tonnes annuelles. Avec plus d’un million de tonnes, le Danemark représente 69% des activités minotières de l’Union Européenne exercées par une flottille très concentrée (60 bateaux de pêche spécialisés auxquels s’ajoute une flottille de 347 unités de toutes tailles pour laquelle il s’agit d’une activité complémentaire). On estime à , tout au plus, 500 le nombre d’emplois équivalent temps plein liés aux activités minotières dans ce pays, ce qui est très peu comparé aux autres activités halieutiques.. »). Le tout est orchestré par des entreprises de plus en plus concentrées dans les mains de quelques grands groupes financiers(3 des plus grandes entreprises européennes figurent parmi les 10 premières entreprises mondiales des produits de la mer, et les 2 premières d’entre elles font plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaire (Pescanova et Foodvest-Findus), cf. rapport de l’UE sur la commercialisation des produits de la mer.

(Rapport sur la pêche artisanale en Europe N°FISH/2005/10)

L’Europe, et la France en particulier, a la chance d’avoir su conserver une pêche artisanale(81% de la flottille mesure moins de 12m en 2005 dans l’UE des 25, 88% moins de 16m, cf. Rapport sur la pêche artisanale en Europe N°FISH/2005/10, un pilier du développement de nos régions maritimes. Il serait dommage et dommageable pour notre vie « sociétale » et environnementale de perdre cela.

Nous attendons avec impatience que sur nos marchés, quels qu’ils soient, l’origine « régionale et artisanale » de ces produits soient apposés, une distinction certes plus fine que celle qui est imposée actuellement. Alors pourrons-nous en tant que consommateur affirmer notre choix de société…

– A propos de la distinction « artisanale » des produits :

Pour ma part, j’ai la chance d’habiter une petite ville littorale. Chaque matin où je descend sur le port, par curiosité je vais voir sur les étals des pêcheurs ce que nous a livré le fond de la mer si proche. De temps en temps, je régale la tablée d’un de ces hôtes sous-marins. Le prix n’est pas forcément élevé, comme le disent certains. Cela dépend des espèces : il y a les « snobs » souvent surévaluées à  mon goà’t, et les méconnues : goà’teuses, aventureuses et surprenantes([saupe, sévereau ou chinchard, moustelle, liche et sériole, congre, murène, maquereau, bogue et bonite, sabre…)] L’origine « artisanale » de ces produits ne fait pas de doute : le patron pêcheur, armateur du bateau, est souvent là , derrière l’étal, ou à  « trafiquer » sur son bateau, à  moins qu’il ne « galèje » après ses heures de mer ! Pour ceux qui ne peuvent constater de visu cette « marque artisanale », soit qu’ils n’habitent pas en bord de mer, soit que la population littorale ne soit pas assez importante pour organiser des ventes locales, il leur suffira de connaître la région d’origine (Bretagne, Loire Atlantique, Provence…) et le fait que le bateau soit armé par son patron pêcheur embarqué et non par un groupe financier qui rentabilise ses capitaux dans la pêche… car là  est toute la différence. Le premier va vivre au pays et le faire vivre quand le deuxième suivra les opportunités d’une rentabilisation de capitaux, par définition « hors territoires ».

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