Cinq raisons de douter d’un accord international sur le climat

Du 31 mai au 11 juin, à  Bonn, 180 représentants ont tenté de relancer le processus de négociations d’un accord international sur le climat, dans l’indifférence médiatique (presque) générale. L’excès d’enthousiasme qui avait caractérisé Copenhague s’est mué en une prudence discrète, voire un pessimisme affiché.

Christiana Figueres, la remplaçante d’Yvo de Boer au poste de secrétaire exécutif de la Convention climat des Nations unies (UNFCCC), a estimé que le processus pourrait durer «20, 30, 40 ans’ et qu’un accord légalement contraignant était improbable dans les années qui viennent. Ce qui nous mène au mieux en 2040, date à  laquelle les scientifiques du Giec ne répondent plus de rien sur l’état du climat. Pourquoi les négociations ne sont-elles pas à  la hauteur de l’enjeu?

Copenhague, un «momentum’

A l’ouverture de la conférence de Copenhague, une vague d’enthousiasme faisait croire à  un événement historique. Pour plusieurs raisons. Le changement de présidence américaine laissait espérer un nouveau volontarisme politique en matière environnementale. Barack Obama s’était engagé sur le principe d’objectifs de réduction contraignants et sa présence à  Copenhague marquait symboliquement le changement d’attitude des Etats-Unis, indispensable pour parvenir à  un accord.

L’Union européenne voulait jouer un rôle de chef de file, se disant prête à  aller jusqu’à  -30% d’émissions en 2020 par rapport au niveau de 1990 si les autres pays développés suivaient. La couverture médiatique —5.000 journalistes, la présence de 115 chefs d’Etat et de dizaines de milliers d’observateurs » ont aussi contribué à  donner à  ce sommet une envergure sans précédent. Au moins depuis Rio en 1992. Présenté comme une occasion historique par les ONG et les médias, il a pourtant été un échec politique, révélant les dissensions entre pays développés et pays émergents.

Le processus a butté sur le duel Chine/Etats-Unis (qui représentent environ 40% des émissions mondiales). Les premiers exigent un engagement plus conséquent des Américains, qui, eux, refusent d’entrer dans un système contraignant qui exclurait la Chine et les autres pays émergents.

Le sommet s’est finalement achevé sur une déclaration politique non contraignante qui n’a satisfait personne. On y trouve un objectif de limitation de l’augmentation de la température de la planète en-deçà  de 2°C d’ici à  la fin du siècle, mais sans donner les moyens d’y parvenir, et une enveloppe de 100 milliards de dollars d’ici à  2020 pour soutenir l’adaptation des pays du Sud aux changements climatiques.

Climato-scepticisme et crise économique

Dans la foulée de cet échec politique, le doute scientifique s’est répandu avec la polémique autour du travail du Giec, qui a fait les choux gras des climato-sceptiques. Aux Etats-Unis, en 2010, 48% des Américains interrogés estiment que le changement climatique est exagéré, soit 20% de plus qu’en 2006.

La crise économique, qui a détruit près de 30 millions d’emplois dans le monde, est le facteur le plus aggravant qui relègue la question du climat au second plan. En France, cette frilosité s’est manifestée par le retrait du projet de «taxe carbone’, en mars dernier, au motif que nous ferions cavalier seul en Europe (ce qui n’est pas le cas puisque la Suède ou encore la Finlande l’ont déjà  instaurée). Après l’échec de sa tentative de leadership à  Copenhague, l’Union européenne a adopté une position attentiste.

A Bonn, les négociations ont permis de renouer la discussion, mais le flou demeure sur l’avenir du protocole de Kyoto, sur les objectifs de réduction des gaz à  effet de serre et la répartition de l’effort entre les pays.

«La tragédie des communs’

«Si je n’émets pas, mon voisin le fera.’ Cette conception désastreuse de la diplomatie climatique dicte l’attitude des négociateurs. Y voir l’expression d’une mauvaise volonté généralisée serait trop réducteur. Les blocages sont aussi liés à  la nature du problème climatique. On essaie de s’entendre, à  l’échelle globale, sur la préservation de biens naturels comme l’atmosphère, les mers ou la biodiversité. Dans cette configuration « une ressource en libre accès considérée comme un bien commun » on observe un phénomène systématique de surexploitation. La «tragédie des communs’, outil d’analyse popularisé en 1968 par un article du biologiste Garret Hardin, illustre parfaitement ce phénomène.

L’auteur prend l’exemple d’un village d’éleveurs, où chacun peut faire paître ses animaux dans un pré commun à  tout le village. Si aucune règle n’est fixée, chaque fermier a intérêt à  y conduire son bétail le plus souvent et le plus longtemps possible. S’il ne le fait pas, d’autres profiteront du champ à  sa place.

Autrement dit, les acteurs rationnels ont intérêt à  ne pas coopérer, sous peine d’être victimes de la non coopération des autres acteurs. Dans la parabole, le pré se transforme en champ de boue stérile. Dans la réalité, cela signifie que tout le monde a intérêt à  adopter la position du passager clandestin: profiter de la ressource en contribuant le moins possible à  sa préservation.

Il est possible d’éviter ce genre de désastre en instaurant des mécanismes de régulation, comme la privatisation, la nationalisation ou encore la gestion commune. Mais dans le cas de ressources non appropriables, l’atmosphère, la biodiversité ou les mers, la régulation est difficile à  mettre en œuvre. La «tragédie des communs’ s’applique bien, par exemple, à  l’épuisement des pêcheries mondiales, thon rouge, morue canadienne, merlu… soumises à  une forte demande et une compétition pour l’accès aux stocks. En l’absence d’une autorité coercitive, ou, au moins d’une entente générale sur la répartition des efforts de préservation, chacun a intérêt à  adopter la position du passager clandestin: profiter au maximum de la ressource en contribuant au minimum à  sa préservation.

Les limites du cadre onusien

Le modèle de la grande conférence internationale à  190 pays est-il encore viable? On cite souvent le Protocole de Montréal, signé en 1987 pour lutter contre la destruction de la couche d’ozone, comme un exemple de réussite d’un traité international sur l’environnement. Ratifié par 196 pays à  ce jour, il est le premier (le seul) traité environnemental à  avoir obtenu une adhésion universelle. «On a eu tendance à  ériger le Protocole de Montréal en modèle pour mettre en place celui de Kyoto’, explique Philippe Le Prestre, professeur de science politique à  Québec et spécialiste de l’environnement et des relations internationales. «Mais le problème des chlorofluorocarbures concernait quelques industriels contrairement à  la question du changement climatique, qui est globale. Il y a une illusion cosmopolitique de croire qu’à  un problème global correspond forcément une solution globale’.

Le bilan de Kyoto, qui arrive à  échéance en 2012, est mitigé. L’objectif était de réduire de 5% les émissions de gaz à  effet de serre (GES) par rapport à  leur niveau de 1990, or elles ont augmenté de 30% dans le monde. Il y a au moins trois raisons à  cela. Des Etats comme la Chine, l’Inde, le Brésil, considérés à  l’époque comme des pays en développement, n’ont pas été soumis à  des objectifs de réduction. Les Etats-Unis, qui représentent environ 20% des émissions mondiales, ne l’ont pas ratifié. Enfin, certains signataires n’ont pas tenu leurs engagements. Le Canada, par exemple, dont les émissions ont augmenté de 28% loin des -6% prévus.

Les négociations sur l’après-Kyoto opposent des intérêts très divergents entre les pollueurs historiques, les pays émergents et ceux qui subissent le réchauffement climatique sans y contribuer. La recherche d’un consensus est un casse-tête qui entraîne les blocages éprouvés à  Copenhague.

La politique des petits pas

Face aux ratés de la négociation globale à  190 Etats, d’autres mécanismes pourraient s’imposer. A Bonn, une politique des petits pas se dessine qui privilégie les accords bilatéraux et sectoriels, comme sur la déforestation ou les transferts de technologies. «Il n’est pas impossible que le futur régime climatique repose sur des politiques régionales ou nationales, dont il ne faut pas sous-estimer l’impact, et avance par négociations ciblées. Par ailleurs, le modèle de négociation traditionnel entre les Etats s’est transformé et fait intervenir de nouveaux acteurs comme les ONG et entreprises, ce qui ne va pas sans poser des questions de gouvernance’, souligne Philippe Le Prestre. Est-ce à  la mesure de l’enjeu? Probablement pas. Mais c’est tout ce que l’on semble pouvoir espérer pour l’instant.

Anne de Malleray

Ce contenu a été publié dans Analyses. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.