Réforme de la PCP et la petite pêche : analyse et propositions

Photo Sophie H. Marty

La Commission reconnaît la nécessité d’une politique adaptée à  la petite pêche côtière qui compte « 65 000 embarcations, soit environ ¾ des bateaux de pêche ‘. Il est précisé par ailleurs : « Ce sont les Etats membres qui seraient chargés de prendre des mesures adaptées à  la réalité de leur terrain et à  la spécificité de leurs pêcheries côtières () dans la bande des 12 milles marins ‘.

Le cadre fixé par le projet de réforme est celui de la pêche industrielle. Encore faut-il que ce cadre soit suffisamment souple pour assurer l’avenir de la petite pêche et des ¾ de la flottille qu’elle représente. Qu’en est-il au regard des petites pêches, et notamment des pêches méditerranéennes ?

I. Critères de différenciation entre pêche industrielle et pêche artisanale

La définition de la pêche industrielle (bateaux de plus de 12m, tout art trainant quelle que soit la longueur du bateau) n’est pas assez restrictive pour préserver la pêche artisanale. Que dire d’un pointu de 6 m qui utilise une petite drague, ou encore d’un armateur qui arme une flottille de bateaux de moins de 12m (par exemple des senneurs) et qui délocalise au fur et à  mesure des opportunités de pêche ?

La définition pourrait être la suivante : bateaux de plus de 12 m et dont l’armateur n’est pas le patron pêcheur embarqué. Cette définition permet de tenir compte de la taille  du navire (qui serait significatif de la taille de l’entreprise) mais également de la structure économique et financière de l’entreprise.

Quant à  imposer une limite des 12 milles nautiques pour la pêche artisanale , cela n’a guère de sens au regard des territoires de pêche effectifs et d’une gestion de la ressource qui cible alternativement différentes espèces (benthiques, pélagiques) ou différentes zones (relativement à  l’étendue du plateau continental).

II. Gestion différenciée de la ressource

Joseph Davi - photo Joseph Marando

La gestion de la ressource n’est perçue qu’au travers de l’estimation globale des stocks. Ces stocks étant considérés comme globalement surexploités, il convient de réduire la capacité de la flottille par sa concentration et par la fixation de volumes de capture inférieurs au « rendement maximal durable ‘. C’est un raisonnement fondé sur une approche quantitative de l’environnement et de l’économie qui convient à  une logique industrielle. L’artisanat n’est considéré que relativement à  cette approche : « Il ne faut donc pas mésestimer l’impact de cette pêche sur la ressource et l’environnement côtiers. D’autant plus que la bande côtière concentre une partie importante de la vie marine ‘.

La définition de la pêche artisanale est d’être « territorialisée ». Elle piège les espèces présentes et en mouvement sur son territoire. Son impact est rarement lourd de conséquences pour le renouvellement d’un stock.  Les problèmes de surexploitation et d’effondrement des stocks ont surgi avec la pêche industrielle. Par contre, elle peut affecter les écosystèmes dans des lieux précis et nécessite une gestion du territoire qui tienne compte de l’impact de l’activité halieutique sur ces écosystèmes.

Exemple du thon rouge dont les indicateurs nous disent qu’il est « globalement » en surpêche. Or, depuis 4 ans, les pêcheurs de Méditerranée française n’ont jamais autant vu de thons rouges dans leurs eaux, au point qu’ils deviennent parfois envahissants. Localement, cela n’a pas de sens d’en interdire la capture par les artisans, tout au contraire. C’est un peu comme si l’on voulait gérer le stock mondial de chamois et que l’on interdisait sa capture sur la planète sans tenir comte du fait qu’il prolifère dans certaines zones.

A une gestion quantitative par stock, significative pour la pêche industrielle, il faut concevoir une gestion qualitative par territoire, significative pour la pêche artisanale. Cette gestion par territoire suppose de partir des plans de gestion locaux ou régionaux proposés (et parfois mis en œuvre[1]) par les organisations professionnelles de pêcheurs et d’instaurer une concertation avec les scientifiques et les responsables politiques locaux pour gérer le territoire dans son ensemble en fonction de l’impact des différentes activités maritimes et de la spécialisation littorale.

III. La relative indépendance des gestions par stock et par territoire

Equipage du Dragon II - Photo E. Tempier

La pêche artisanale ne peut être définie comme un sous-secteur de la pêche industrielle sur la base des prélèvements qu’elle effectuerait sur les stocks globaux. Elle est définie par son fonctionnement relativement au fonctionnement des écosystèmes. Ainsi la gestion prud’homale consiste en une répartition dans le temps et dans l’espace de l’effort de pêche de manière à  laisser reposer alternativement les zones et les espèces. Contraindre ou interdire certaines techniques, ou limiter la capture de certaines espèces, en référence à  une gestion par stock ou par espèce, entraine des déséquilibres importants dans la gestion de ces territoires.

L’interdiction de la thonaillle comme de tous les filets dérivants destinés à  la capture de thons n’a pas de sens pour une pêcherie qui montre qu’elle a un impact négligeable sur la capture de mammifères marins. Les restrictions de capture imposées à  la pêche des thons à  la ligne et à  la palangre n’ont pas de sens si l’on compare le volume de ces captures aux mattes de thons présentes dans la zone. Par contre, le report de l’activité des pêcheurs de thons sur les autres techniques et sur les autres espèces est de nature à  désorganiser l’ensemble des pêcheries.et à  déséquilibrer le fonctionnement des écosystèmes. Pour les Prud’hommes en activité, c’est la plus mauvaise gestion qui puisse être sur le plan environnemental, économique, social

La gestion par territoire des pêches artisanales doit être indépendante de la gestion par stock des pêches industrielles. Si cette gestion prend la forme de mesures techniques et de droits d’usage, elle ne doit pas être sous la coupe des gestions par quotas.

IV. Gestion différenciée des pêches artisanales

Considérer le territoire du point de vue de son environnement, de son tissu social et économique, et de la place de la pêche dans la spécialisation régionale suppose qu’il puisse y avoir des gestions différenciées. Ainsi, par exemple, certains filets dérivants capturent des mammifères marins dans certaines zones et pas dans d’autres ; certaines zones sont adaptées aux arts trainants, d’autres non, etc. Certains territoires font l’objet d’une pression importante de la pêche récréative et des activités touristiques ; il convient d’en tenir compte dans la gestion des ressources et de l’activité halieutique

Il n’y a pas de « bons ‘ et de « mauvais ‘ engins de pêche, ces derniers ne peuvent être évalués que relativement aux zones d’exercice et aux pratiques mises en œuvre. Mesures techniques et droits d’usage doivent être adaptés aux différents territoires. Il faut pouvoir travailler sereinement avec les scientifiques, les politiques et les  environnementalistes pour améliorer la gestion de chaque territoire : gestion des écosystèmes, conciliation des différentes activités, préservation des territoires de pêche, qualité de l’eau…

V. Une gouvernance différenciée

S’adressant à  la pêche industrielle, la Commission prévoit une approche régionalisée à  l’échelle de grandes régions ou bassins pour la gestion des quotas et des flottes, et pour l’élaboration de plans pluri-annuels. La cogestion, ou implication des pêcheurs, se ferait au travers des Organisations de Producteurs (OP). Les OP ne sont pas des structures adaptées dans les zones où les pêcheurs artisans vendent directement leurs apports. Etablir un passage obligé par cette structure revient à  exclure de la gouvernance les pêcheurs artisans et les territoires dans lesquels ils travaillent. Ne considérer que des plans de gestion à  grande échelle reviendra à  « noyer ‘ les plans de gestion locaux des pêcheries artisanales.

Concernant la pêche artisanale, il faut prévoir un autre système de gouvernance basé sur les organisations professionnelles locales de pêcheurs, ces dernières étant directement impliquées dans la mise en place des plans de gestion locaux. Ces plans de gestion locaux donneront lieu à  des partages d’expérience au niveau européen. Définis assez finement en lien avec le territoire, ces plans locaux permettront une meilleure connaissance de notre rapport avec l’environnement.

Photo Philippe Joachim

En aucun cas, la gestion de la ressource ne doit être strictement liée aux OP. Cette année, les pêcheurs artisans de thon rouge travaillant « hors OP ‘ ont été très fortement, et injustement, désavantagés par rapport aux pêcheurs affiliés à  une OP. Que dire d’un système qui obligerait les pêcheurs à  adhérer à  une structure qui ne leur offre aucun service commercial, qui est parfois situé à  300 km de leur zone de débarquement, et pour lequel ils devraient verser un pourcentage, uniquement pour avoir un quota de pêche ?

VI. Gestion différenciée de la capacité de pêche

Pour les pêches territorialisées que sont les pêches artisanales, la capacité de la flottille doit être rapportée au territoire exploité. Une estimation globale par pays ou par bassin n’a de sens que pour des flottes très mobiles comme celles de la pêche industrielle.

Concernant la pêche artisanale, les plafonds de capacité doivent être établis en fonction des territoires exploités. Cela n’aurait pas de sens de vider des ports dans lesquels les communautés de pêcheurs sont déjà  raréfiées. Tout au contraire, dans certaines zones l’installation de pêcheurs doit être encouragée et soutenue afin de rééquilibrer la pêche artisanale tout au long du littoral.

Il est à  remarquer que les estimations de la Commission sur la diminution de l’emploi n’ont peut-être de sens que dans une politique de concentration des structures productives et des marchés. Nous sommes toujours dans une approche quantitative globale. Par exemple, les paludiers de Guérande ont augmenté en nombre tout comme les pêcheurs de coquilles st jacques… Bonne gestion de la zone et valorisation du produit en sont la clé.

VII. Gestion différenciée des marchés

Victor Caci - Photo Sophie H. Marty

En complément de structures commerciales dédiées à  la gestion dans le temps d’apports massifs telles que les OP, il faut prévoir des structures commerciales adaptées aux pêches artisanales : systèmes de vente directe avec le développement local de moyens de conservation, de transformation (conserves, fumaison) ou de livraison des apports. Ces structures doivent pouvoir être gérées directement par les organisations professionnelles locales afin d’alléger les coà’ts de gestion. La « sensibilisation des consommateurs ‘ passe par une transparence des marchés, soit encore des modes différenciés de commercialisation avec une information précise sur l’origine des produits, leur mode et lieu de capture, les pratiques de gestion des territoires qui s’y rapportent

VIII. Gestion différenciée de l’observation du milieu maritime

Le rapport à  l’environnement de la pêche industrielle est conçu essentiellement en termes de prélèvement sur les stocks, ce qui suppose d’enregistrer le volume des espèces capturées pour apprécier l’évolution de ces stocks. Pour les pêcheurs artisans qui doivent piéger des espèces lors de leurs déplacements sur un territoire, c’est le fonctionnement de l’écosystème qui prime. Ces pêcheurs ont donc une appréciation qualitative de l’environnement lié à  leur territoire.

Dans le cas des pêches artisanales, il vaut mieux axer la recherche sur le fonctionnement des écosystèmes en intégrant l’observation des pêcheurs, plutôt que de chercher à  comptabiliser systématiquement des volumes de capture dont l’impact sur les modèles globaux est négligeable. Comprendre, voire anticiper, l’évolution du fonctionnement des territoires compte tenu du changement climatique peut s’avérer bien plus important que de fournir laborieusement des données pour construire, à  long terme, des courbes d’évolution globale.

VIII . Gestion spécifique des territoires et de leurs richesses marines

Les pêches artisanales sont directement tributaires de la richesse des zones littorales. Les pêches industrielles sont indirectement tributaires de ces zones fécondes liées aux apports terrigènes. Il faut donc prévoir des moyens de préserver cette richesse marine, limiter par exemple le rejet de pesticides dont l’impact sur le phytoplancton peut être une cause sérieuse de raréfaction du poisson. Préserver la richesse des zones littorales est un enjeu pour l’ensemble des pêches.

IX. Intégrer les aires marines protégées au sein des plans locaux de gestion

Fixer globalement un pourcentage d’aires marines protégées sur l’ensemble des zones marines, indépendamment des territoires, des pêches artisanales et de leurs plans de gestion locaux reviendrait à  ne considérer que la seule pêche industrielle.

Les aires marines protégées sont l’un des outils de la gestion des territoires qui peuvent être intégrés, dans certains cas, aux plans de gestion locaux. Ainsi, la Prud’homie de pêche de Saint-Raphaêl a mis en place le cantonnement de pêche du Cap Roux, au sein de son territoire. A contrario, le projet de création du Parc National des Calanques prévoit, contre l’avis des organisations professionnelles de pêcheurs, de mettre en réserve 4 200 ha, en incluant notamment l’un des principaux sites de pêche, dans une zone où le plateau continental est fortement réduit. Une telle mesure mettrait en danger l’avenir de la pêche artisanale dans un secteur allant de Marseille au Cap Sicié, soit 6 Prud’homies de pêche

——————————————————–

Pour télécharger le texte :

Réforme de la PCP 2012

Pour en savoir plus :

Réforme de la Politique Commune des Pêches : face au modèle béton de la Commission, une autre vie est possible !


[1] Par exemple, les règlements prud’homaux sont des plans de gestion locaux des territoires prud’homaux.A l’échelle du département varois, l’on peut considérer les règlements prud’homaux, les expériences d’aires marines protégées (Cantonnement du Cap Roux, charte de pêche professionnelle dans le Parc national de Port-Cros…), la Démarche de valorisation des techniques de pêche du Var, l’expérience du Pescatourisme, le Groupe FEP Varois, l’organisation des marchés locaux pour la vente directe des apports, la mise en place d’une qualification adaptée… Voir article
Ailleurs, l’on pourra se référer à  la gestion de la coquille saint-jacques en baie de St Brieuc, ou encore à  celle de la langoustine dans le Golfe de Gascogne
Ce contenu a été publié dans Actualités, La prud'homie, Pêche: Gestion, Politique, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.