Alain Le Sann, Secrétaire du Collectif Pêche et Développement, analyse le modèle de la Commission qui prône la privatisation de la ressource et la concentration du secteur pour réduire la surcapacité d’une flotte de pêche européenne accusée de surexploiter les stocks de pêche : une vision libérale très simpliste dans un secteur environnemental et social des plus diversifiés ! Mais la simplicité, doublée d’un urgentisme environnemental, fonctionne bien au niveau médiatique…
Retour en 5 points sur la démonstration de la Commission, suivi d’une autre voie :
1°) Le rendement maximum durable : un concept flou et souvent inapplicable à atteindre en 2015. Ce « volume de captures maximal pouvant être prélevé indéfiniment dans un stock halieutique (définition de la Commission) » suppose de connaître l’évolution d’un stock donné, nonobstant sa variabilité naturelle, les interactions complexes entre les espèces, l’absence fréquente de données, l’impact des pollutions et du changement climatique… (Pour les méditerranéens, le concept est particulièrement abstrait !)
« Quel est le RMD d’une pêcherie de harengs au large de Terre-Neuve sachant que cette espèce a proliféré depuis l’effondrement de la morue et que la reconstitution du stock de morue est ralenti par la prédation des harengs sur les alevins, la prolifération des phoques (10 millions d’individus), la disparition de l’espèce planctonique consommée par les larves du fait de la hausse des températures… ? »
2°) La gestion par quotas : « judicieuse pour certains stocks bien spécifiques, bien connus et suivis qui sont l’objet d’une pêche ciblée, elle n’est pas adaptée pour les très nombreuses pêcheries multi-spécifiques, et peut même entraîner une hausse des coà’ts de capture favorisant la surpêche… »
3°) La gestion par quota individuel transmissible : un nivellement sur la base d’un mode de production capitalistique. Socialement, l’abaissement du coà’t du travail implique « un recours généralisé aux immigrés sous-payés (ex au Canada, en Islande, en Nouvelle Zélande…)« . Sur le plan environnemental, ce modèle industriel est un mauvais choix pour une activité de cueillette qui doit s’adapter constamment aux aléas naturels.
4°) Un modèle justifié par la « surcapacité » :« Depuis les années 90, le nombre de bateaux s’est effondré, des ports se sont vidés, certains ont même disparu… Même en considérant l’amélioration des capacités de capture, on peut considérer que le problème n’est plus le surinvestissement… On constate une tendance à l’amélioration des ressources dans plusieurs zones de pêche et pour plusieurs stocks, signe que l’état généralisé de surpêche est aujourd’hui dépassé… L’urgence semble plutôt de préserver les capacités existantes en capital et en homme…« . A contrario, « le poids des pêcheurs amateurs aux Etats-Unis, au Canada, en Irlande, en Grande-Bretagne est tel qu’ils exercent des pressions pour se réserver certaines pêches et au besoin acheter les quotas supplémentaires… »
5°) Impasse sur la vie économique, sociale et culturelle de nos régions littorales : ce modèle entraine la diminution du nombre des pêcheurs artisans et le recours à l’immigration de pêcheurs du Sud pour approvisionner en main-d’oeuvre les bateaux industriels. Il renforce le nivellement des marchés sur une base industrielle. Il livre à l’industrie des secteurs artisans traditionnels qui travaillent depuis des siècles dans les zones hauturières, ou avec des engins traînants. Il libéralise l’ensemble des marchés des produits de la mer, sans considération des restrictions mises en oeuvre par les exploitants pour la gestion de leur ressource…
6°) Une autre voie fondée sur la « gestion collective des biens communs »
« Le développement durable est l’aboutissement d’un ordre politique dans lequel une société est structurée de telle sorte qu’elle tire la leçon de ses erreurs sur la façon dont elle utilise ses ressources naturelles et rectifie rapidement ses rapports hommes-nature en accord avec la connaissance qu’elle a acquise…Il est évident qu’une telle société sera celle où la prise de décision sera d’abord la prérogative de ceux qui seront directement touchés par les conséquences de ces décisions… La durabilité ne dépend donc pas de concepts fumeux comme l’avenir des générations futures, mais plutôt de choix politiques de fond comme les modèles de contrôle des ressources et les niveaux de démocratie au sein des instances de décision… »(1)
Dans cette lignée, « Elinor Ostrom, première femme « prix Nobel d’économie 2009″ propose de renforcer l’auto-organisation des communautés de pêcheurs. Cette auto-organisation est pour elle la meilleure solution pour gérer des ressources dans un environnement complexe et incertain… » Une enquête récente de la revue Nature portant sur 130 pêcheries dans 44 pays « montre que dans 65% des cas la gestion communautaire est efficace… Une autre étude de 2009 montre que le processus d’amélioration de la gestion des pêcheries et des pratiques de pêche est engagé un peu partout dans le monde ».
Alain Le Sann énumère les principes élaborés par Elinor Ostrom pour les institutions de gestion des ressources communes et conclue : « On peut aisément reconnaître dans ces principes le fonctionnement de systèmes de gestion en application en France, comme les Prud’homies méditerranéenne, la pêcherie de coquilles saint-jacques en baie de St Brieuc, la gestion de l’anchois dans le Golfe de Gascogne par le CCR-SO (comité consultatif régional sud-ouest), ou la gestion de la langoustine dans ce même golfe… C’est en s’appuyant sur ces initiatives, en reconnaissant les capacités d’analyses des situations qu’on peut espérer construire une pêche durable…«
Document d’Alain Le Sann :
Maria Damanaki contre Elinor Ostrom par Alain Le Sann
Voir d’autres articles sur ce sujet :
Réforme de la politique des pêches et petite pêche méditerranéenne : analyse et propositions
– Réforme de la pêche européenne : analyse et réactions
– Politique commune des pêches : l’heure du choix approche
– Réunion du Groupe de travail pêche traditionnelle au CCR-SO